Mélenchon, tu veux ou tu veux pas ?

Dans son camp, on ne voyait que lui, et son camp a perdu. Pour mieux revenir en 2017, le leader du Parti de gauche met en scène son retrait, derrière lequel pointe néanmoins un abattement réel. Dessous d’un vague à l’âme.

Ainsi donc, le tribun soupire. Au restaurant des eurodéputés de Bruxelles, l’ancien secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts Pascal Durand l’aperçoit déjeunant seul. Sur l’écran de son ordinateur, le socialiste Julien Dray attend encore la réponse aux récents e-mails envoyés. Ce dernier, un ex-copain du temps de leur courant commun au Parti socialiste français, qui lui a adressé un livre assassin au printemps (1), a une explication :  » Ce qui porte un coup au moral de Jean-Luc, ce n’est pas sa suractivité politique depuis cinq ans, puisqu’il est shooté à ça. Ce qui le rend malade, ce sont les échecs.  » Parmi les batailles perdues par l’ancien candidat à l’élection présidentielle, il y a celle contre le PS, qu’il espérait concurrencer. Pour les socialistes, Jean-Luc Mélenchon n’existe plus :  » Il n’est pas un sujet pour nous, glisse Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale. La voix de son parti ne résonne plus au Palais-Bourbon, et elle ne manque pas. La politique, c’est un raisonnement, ce n’est pas un cri.  » Les ex-camarades ont beau avoir des mots cruels, la bataille contre le Front national est à la fois la défaite la plus lourde, mais aussi la plus symbolique, selon Mélenchon :  » Ce sera eux contre nous « , disait-il souvent ces dernières années, en évoquant le Front national.  » Ce sera eux contre nous « , a-t-il répété à une jeune journaliste au Parlement européen, à Strasbourg, le mercredi 16 juillet. Avant de lucidement reconnaître :  » Eh bien, nous sommes à 6 %, eux à 25.  »

 » Je ne peux pas jouer tout l’orchestre  »

Cette interview qu’il a accordée au site d’information Hexagones.fr, quelques jours après avoir refusé un entretien à Valeurs actuelles, n’est pas à lire, elle est à écouter. Les 75 minutes de ce document sonore en disent plus (et plus long) que cinq feuillets. Sur la terrasse d’un hôtel de la capitale alsacienne, bercé par le clapotis urbain, la brise estivale et les interrogations caressantes, Jean-Luc Mélenchon se sent suffisamment en confiance pour dérouler son humeur et répondre aux questions, y compris celles qu’on ne lui pose pas. Alexis Corbière, un des dirigeants du Parti de gauche (PG), a facilité l’échange de numéros de portable entre son patron et cette journaliste, avec qui il est ami sur Facebook. L’ancien candidat à l’élection présidentielle, lui, a classé ses idées, préparé son message.

Alors, pour la première fois, Jean-Luc Mélenchon exprime publiquement avec des mots clairs son envie de s’affranchir de la vie quotidienne du PG, qu’il a fondé en 2008 et qu’il copréside depuis.  » Comme homme, je ne suis pas une machine, j’aspire à ce que le niveau de pression pour moi baisse, confie-t-il. C’est pas que je sois fragile, mais c’est pas bon : on finit par raisonner comme on ne devrait pas le faire […]. Je ne peux pas jouer violon, contrebasse et tout l’orchestre.  » Et d’ajouter, en paysagiste attentif – plus que modeste – de son écosystème politique :  » Il faut aussi que le grand arbre n’empêche pas le reste de la forêt de pousser.  »

Dans cette jungle très inégale, on ne distingue que quatre arbrisseaux pour un séquoia. Qui connaît François Delapierre, l’un des plus proches de Mélenchon ? Paradoxe ultime de la nécessité d’incarner en politique et d’une certaine jouissance de la notoriété, Mélenchon jure sempiternellement avoir la célébrité en horreur. Il le dit à Hexagones quand il réfute plusieurs fois cette insulte qu’est pour lui le concept de  » pop star « . Il l’explique plus longuement au site Slate.fr, dans un entretien réalisé à la mi-avril mais publié le 26 juillet :  » Comment en est-on arrivé à faire des hommes politiques des sortes de people ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de protester ou de refuser sans passer pour un mauvais coucheur acariâtre ? […] Toute sortie est une mise en scène, une exposition de soi. A présent, tout le monde veut « faire une photo ». Ce n’est pas toujours demandé poliment. Il arrive qu’elle vous soit imposée de force. Les gens pensent que la notoriété est un pur bonheur. Et qu’elle se transfère par selfie en direction de Facebook… C’est la loi de notre temps.  » Celui qui, pendant la campagne présidentielle, n’en revenait pas d’être si reconnu, au point de répéter des  » C’est dingue… C’est dingue… Personne ne peut comprendre ce que je vis « , a aujourd’hui la nausée de ne pouvoir se cacher sur la voie publique.

Ses élans propalestiniens ont replacé malgré lui le leader de la gauche radicale sur le devant de la scène. Il a manifesté le mercredi 23 juillet à Paris et amendé personnellement les communiqués de son parti qui ont suivi l’interdiction des cortèges précédents. Eric Cocquerel, l’un de ses lieutenants-arbustes, défend son supérieur :  » Jean-Luc a été en première ligne, y compris dans des débats internes au Front de gauche. Peut-être doit-il l’être moins.  » La politique de cuisine, ces communistes qui dansent le slow avec les socialistes pour un plat de lentilles, tout cela le fatigue. Mélenchon jure à Hexagones être excédé par  » le poids du retour aux vieilles traditions partidaires, aux accords, aux arrangements, aux alliances électorales, jusqu’à ce néant qu’a été la campagne des municipales « .

Déplacer des pierres pour se vider la tête

Que veut faire Jean-Luc Mélenchon ? Dans un premier temps, rien. Les électeurs de la circonscription Sud-Ouest ont sûrement été ravis de voir leur député européen tout juste réélu exposer dans Hexagones ce mouvement simple, l’immobilité :  » A un moment, il faut s’arrêter de courir. Parce que, si on court tout le temps, on va finir par se mettre dans le vide. Et, là, j’ai besoin de dormir, de ne rien faire, de bayer aux corneilles. […] Retrouver mes pinceaux et mon encre de Chine, […] terminer ce fichu bouquin.  » Le livre en question traitera de politique, et ceux à qui il en a déjà parlé décrivent un ouvrage dans la lignée des précédents : le roman d’amour promis à Gala en 2011 attendra des jours meilleurs. Quant à l’encre, elle renvoie à la calligraphie, l’art de soigneusement former les caractères d’écriture. Une activité à laquelle s’adonne l’homme politique quand ça ne va pas fort ou qu’il a le temps. La première option commandant généralement la seconde.

Il ne faut pas mésestimer les jardins secrets de Jean-Luc Mélenchon. Des espaces géographiques et sociaux où il se plonge en vacances et dès que le spleen le guette. Entouré d’un cercle social éloigné de celui de la politique nationale, Jean-Luc Mélenchon aime se reposer avec ses amis du monde de la culture ou de Massy, son territoire électoral originel, dans l’Essonne, au sud de Paris. Il aime se délasser dans des maisons où chacun fait la sieste à l’heure qu’il souhaite mais où tous se retrouvent au moment du dîner. Il aime s’adonner à des  » exercices physiques répétitifs et abêtissants « . Déplacer des pierres pour construire un petit barrage ou un muret correspond parfaitement à ce que l’intellectuel adore faire pour se vider la tête.

Cette année, le leader du PG aura tenté  » une ultime percée stratégique « , en cherchant à s’allier avec les Verts. L’expression est de Jean-Vincent Placé, sénateur écologiste et compagnon de dîner, au printemps, de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier avait bien fait les choses en invitant le gourmet Placé au Chansonnier, un restaurant traditionnel du nord de Paris. Le dirigeant d’Europe Ecologie-les Verts n’a pas uniquement apprécié son lapin à la moutarde, il a aussi goûté la hauteur de la discussion proposée par un Mélenchon en verve. Après avoir évoqué la Chine et la Palestine, les deux hommes en viennent au rapprochement voulu par le député européen. Niet.

Comme les autres Verts, Placé n’y croit pas :  » Les gens du Parti de gauche vont finir à 70 dans une salle enfumée, dont la moitié sera composée de dirigeants. A l’ère de l’individualisme, il n’y a plus un mec réellement communiste en France. Et le début de ce quinquennat pour technos signe la fin de l’ère des politiques, des types flamboyants. Mélenchon, c’est « Bayrou II, le retour » : il a fait 11 % en 2012, il fera 2 en 2017.  » Jean-Vincent Placé a raison : il est certain que Jean-Luc Mélenchon sera présent au prochain coup. Retrait ne signifie pas retraite.

(1) La Faute politique de Jean-Luc Mélenchon, par Julien Dray (Le Cherche Midi).

Par Tugdual Denis

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