Marionnette à remplacer

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

L’attentat qui a décapité la direction prorusse mise en place à Grozny est un sérieux revers pour le Kremlin. Avec la mort du président Kadyrov, c’est la stratégie de  » tchétchénisation  » qui vacille

La huitième tentative aura été la bonne. Le président Akhmad Kadyrov, qui régnait d’une main de fer sur la Tchétchénie et était considéré comme un traître par la guérilla séparatiste, a été assassiné le 9 mai, à Grozny. Perpétré dans un stade de la capitale où se déroulait une parade militaire, l’attentat à la bombe qui lui a coûté la vie a également tué six autres personnes et grièvement blessé le commandant des troupes russes stationnées dans la petite république en guerre. Pour Vladimir Poutine, qui s’était engagé en 2000 à  » liquider jusque dans les chiottes  » les groupes armés tchétchènes, l’humiliation est cinglante. Il perd l’homme clé de sa stratégie de  » normalisation « .

A la Douma, le parlement russe, des fidèles de Poutine ont suggéré de placer désormais la Tchétchénie sous la tutelle directe du Kremlin ou de nommer un Russe à Grozny. Ce serait reconnaître l’échec de la politique de  » tchétchénisation  » du pouvoir voulue par le président russe. Susciter l’émergence d’une autre ma- rionnette aux ordres de Moscou ? C’est prendre le risque de la voir subir le même sort que Kadyrov et enfoncer encore un peu plus la Tchétchénie dans le chaos.

Vladimir Poutine a dès lors misé sur la continuité… dynastique. Ramzan Kadyrov, fils du président assassiné, a été nommé premier vice-Premier ministre. A 27 ans, il est ainsi devenu le deuxième personnage de la république caucasienne. Un choix grotesque. Ramzan, apparu en simple survêtement de sport au côté de Poutine lorsque celui-ci a annoncé la mort du président tchétchène, est un personnage gauche et brutal. Mais c’est aussi le chef de la milice armée de son père, les sinistres kadyrovtsi, régulièrement accusés des pires exactions par la population tchétchène et les ONG russes. Moscou a dû prendre en compte leur forte présence sur le terrain.

Pour autant, Ramzan Kadyrov ne semble pas en mesure d’endosser le costume de nouveau leader de la république. Sergueï Abramov, le Premier ministre, non plus. Ce banquier de 32 ans, qui assure la présidence par intérim, est jugé  » sérieux et compétent « , mais il est totalement inconnu du grand public, même à Grozny. Selon la Constitution tchétchène, une nouvelle élection présidentielle doit se tenir dans quatre mois, donc en septembre. D’ici là, on craint, en Tchétchénie, des actions de représailles contre des villages et des habitants. Poutine a promis de venger la mort du président, tandis que les forces fidèles au clan Kadyrov risquent elles aussi de se déchaîner.

Terreur et pillage

Troupes russes et milices de Ramzan poursuivront en tout cas la traque des boïviki, les combattants indépendantistes, accusés d’avoir commis l’attentat. Toutefois, la méfiance règne entre Moscou et son allié local. L’état-major russe n’a pas caché son irritation après la dénonciation par Akhmad Kadyrov de certains crimes commis par l’armée russe contre des civils tchétchènes. Beaucoup, à Moscou, considéraient même que l’ancien mufti devenu président par la grâce du Kremlin était, depuis peu,  » hors de contrôle « . Ses détournements de fonds du budget fédéral russe affectés à la  » reconstruction  » de la Tchétchénie avaient fini par susciter des critiques en haut lieu.

Certes, Kadyrov présentait un triple avantage aux yeux du Kremlin. D’abord, celui d’être une figure religieuse musulmane issue du plus grand clan tchétchène, celui de Benoï. Ensuite, celui d’avoir renié haut et fort ses positions antirusses du temps de la première guerre de Tchétchénie (1994-1996). Enfin, celui d’être un farouche adversaire des  » wahhabites  » tchétchènes, une mouvance minoritaire radicale mêlée aux réseaux criminels des preneurs d’otages. Mais, ces derniers temps, le père de Ramzan insistait un peu trop lourdement pour mettre la main sur le trafic du pétrole dans la république caucasienne, alors que celui-ci est formellement placé sous le contrôle de la société russe d’Etat Rosneft… aux liens étroits avec le Kremlin.

Olivier Rogeau

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