Marchand de jazz

Avec Demain j’arrête, le Nestor Burma de la chanson s’enthousiasme pour les orchestrations larges et cuivrées. Son moyen à lui d’arrêter le temps

Cela fait deux, non trois fois que Guy Marchand vient retaquiner la bouteille de JB posée sur une table au milieu de la scène. Gourmand de malt, et de jazz. Ce soir, dans un club parisien bondé, le sexagénaire cool interprète les nouveaux titres de son Demain j’arrête parfaitement résumé par ce premier titre Je voudrais vivre avant de mourir. « Je voulais appeler mon disque Délit de faciès, mais on m’a dit que c’était trop agressif. Je me fous de ce qu’on peut penser de nous parce que je sais que les 18 musicos du Big Band de Fred Manoukian peuvent en remontrer à n’importe qui. Moi, je compte sur ma sincérité, je suis né aux Puces et j’allais écouter Django au Piccolo. J’aime pas les puristes, et je pense que le vrai rôle d’un artiste est de lutter contre la mode et le réalisme ». Facétieux et un brin vachard, voilà comment Marchand conduit le véhicule de Demain j’arrête, à coups d’orchestrations pimpantes menées par le chef Fred Manoukian sur des textes explicites ( Rien c’est tout ou rien, J’ai bien le droit d’avoir le blues).

Quand on le rencontre, Marchand est assez loin de l’image du brave type réglo qui carbure à coups de pépés jazz: « J’ai le devoir d’assumer ma propre négritude et ma vulgarité. Je suis un enfant du peuple et je n’ai pas de gants de daim ». Disons que Guy a des gants de cuir avec lesquels il se casse régulièrement la gueule au polo. Inconditionnel de ce sport qu’il pratique lors d’échappées en Argentine, il reconnaît que cette fixation sur la balle à cheval le mène toujours « entre ruine et hôpital ». Cassé d’un peu partout – mais globalement réparé – Marchand a en mémoire fraîche son dernier périple sur les terrains de sport de Buenos Aires qui lui a offert un traumatisme crânien: « J’ai perdu la vue d’un oeil pendant deux jours, et mon oreille gauche est bousillée: désormais, j’entends l’orchestre en mono, un peu comme le Sinatra des années 50! » ( rires).

Son disque surprend moins que la manière dont il défend son point de vue: « Je pense aux autres par égoïsme. Plus on sort de soi, moins on a l’angoisse de la mort. Les deux heures d’un concert m’appartiennent complètement: pendant ce laps de temps, on bénéficie d’un sursis harmonieux, rien de navrant ne devrait se passer. Pour moi, la légèreté est la plus grande des élégances. Je ne suis pas dupe: mes instants de mégalomanie sont de plus en plus courts et, même, ils arrêtent avant de naître ». Jazzman et philosophe, Guy Marchand est devenu une véritable figure publique via la télévision: convaincant dans ses apparitions cinématographiques, Marchand a réussi à composer avec Nestor Burma un personnage moins irritant que Big Hanin dans Navarroet plus volatile que Cremer dans Maigret. « C’est pas normal de dire ce que l’on veut devant six ou sept millions de télespectateurs: certains régimes auraient fusillé Burma! » ( rires). Veuf d’une série désormais interrompue par Antenne 2, Marchand sait que son avenir visuel est assuré. Il a déjà composé un autre téléfilm à succès, l’été dernier, dans la maison d’en face (TF1). « Le succès permet – justement – d’essayer des projets comme ce disque et cette tournée, où les frais sont tels que ce n’est pas véritablement là que je vais m’enrichir. Mais dans la « grandiloquence » de la musique, on trouve sa propre dérision. Ce que j’aime chez quelqu’un comme Sinatra, c’est que le feeling passe avant le rythme. Ce que je ne supporte pas, c’est la leçon de jazz. »

Comme un poisson dans l’océan de ses morceaux Big Band, Marchand taille sa route avec un seul principe indéfectible: « Jamais personne ne m’a fait souffrir, même pas Pialat ( rires). J’aime la pudeur, c’est pour cela que je suis un acteur démodé et que je ne vais plus au cinéma ». Fort en gueule, Marchand n’en est pas moins le plus faible des hommes face aux femmes: « C’est à cause de la guerre et des saloperies faites par les Français en 1945: je n’oublierai pas cette vision de femmes rasées, peinturlurées avec des croix gammées, poussées par des soudards armés de Mauser. Dès que j’ai un conflit avec une femme, je pense à cette scène. Et j’en parle pour exorciser. » D’ailleurs, Marchand conclut son disque avec Amor de mis Amores, dédié aux femmes: un véritable exorcisme par le tango !

Philippe Cornet, CD Demain j’arrête, chez EMI.

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