Mais où est donc passé le subside ?

Etrange affaire : en 2001, l’administration wallonne constate que l’industriel carolo Robert Wagner devrait rembourser un subside régional et européen de 855 000 euros. Puis  » le dossier s’enlise « . Il remonte à la surface aujourd’hui. L’avait-on rangé au frigo ? Pourquoi ?

(1) Louis Krack était l’un des trois curateurs de Verson Europa. Au même moment, il était aussi l’avocat du groupe Wagner. Un peu plus tard, il sera nommé administrateur de plusieurs sociétés du groupe Wagner.

C’est l’histoire d’une commande prometteuse… qui tourne au fiasco. Le 22 novembre 1996, le groupe Wagner fonde la société Charleroi Découpe pour des activités de découpage et de soudure de tôles d’acier. Spécialiste du transport, le groupe familial entend poursuivre sa diversification. Plus tard, il se reconvertira clairement dans l’immobilier ( lire  » Les étranges affaires de Van Cau et Cie  » dans Le Vif/L’Express du 16 décembre dernier). Grâce à Charleroi Découpe, le patron Robert Wagner veut élargir sa collaboration avec la Fabrique de fer (Fafer), ancien fleuron de la sidérurgie wallonne. Wagner a acquis le terrain et les bâtiments d’une société en faillite – Verson Europa (1) – située à Marcinelle, près de la Fafer. C’est là que Charleroi Découpe s’installe.

Dès juillet 1997, la nouvelle société Charleroi Découpe obtient des subsides publics pour un investissement chiffré à 115 millions de francs belges de l’époque (environ 2,8 millions d’euros), portant sur le bâtiment et des machines. Le fonctionnaire Bernard Wang, directeur du département Industrie au ministère de la Région wallonne, signe le document d’octroi de l’aide. Il s’agit d’un dossier Objectif 1-Hainaut. Le subside est plafonné à 30 % de l’investissement, soit à 34 millions de francs belges (855 000 euros). La Région wallonne et l’Union européenne en assument chacune la moitié.

Les ennuis ne tardent pas. Le 13 octobre 1997, le géant français de la sidérurgie Usinor prend le contrôle de la Fafer. Une OPA en bonne et due forme complète l’opération de rachat quelques mois plus tard. Résultat : le contrat de sous-traitance passe sous le nez de la famille Wagner. Fafer/Usinor reprend à son compte l’activité de sous-traitance concédée à Charleroi Découpe/Wagner. Mais le subside sera bel et bien versé au groupe Wagner, en deux tranches : en août 1998 et en février 1999. La famille Wagner a (partiellement) investi dans Charleroi Découpe et transféré une dizaine de personnes en provenance d’une autre société du groupe. Or l’essentiel fait défaut : le carnet de commandes est ratiboisé.

En juin 1999, Wagner fusionne deux de ses sociétés, la défaillante Charleroi Découpe et Charleroi Construction, implantée à Fleurus. La nouvelle firme se nomme Charleroi Construction et Découpe (CCD). Un rapport d’enquête de l’inspection économique de la Région wallonne, daté du 23 avril 2001, établit qu’  » une partie du matériel d’exploitation a été délocalisée (de Marcinelle) au siège de Fleurus », que  » l’arrêt total des activités au siège de Marcinelle s’est situé à fin juin 2000  » et que l’emploi n’a pu être maintenu que  » jusqu’au 4e trimestre 2000 « . Or la législation en matière de subsides européens prévoit qu’il faut maintenir l’emploi durant cinq ans au moins. Au surplus, si 80 % des dépenses d’investissement ne sont pas maintenues, il faut restituer l’entièreté du subside.

Volume d’emploi insuffisant, désinvestissement, estime l’administration wallonne. Celle-ci fait vite : elle écrit au ministre Serge Kubla qu’elle ne peut que proposer  » l’annulation et la récupération des aides « . Le courrier est reçu au cabinet Kubla le 21 mai 2001. Le libéral Kubla est à l’époque le ministre de l’Economie du gouvernement wallon piloté par le socialiste Jean-Claude Van Cauwenberghe.

Quelques semaines plus tard, Wagner trouve un repreneur pour CCD, en la personne de l’ingénieur Michel Dungelhoeff, ancien administrateur aux Forges de Clabecq. Celui-ci achète CCD et la revend trois mois plus tard à… Wagner. Une seconde vente a lieu à la moitié de 2002 au profit de l’homme d’affaires Joseph Strazzante. Deux ans plus tard, CCD, retapée, intégrera le groupe Fabricom GTI. Une convention de juillet 2002 passée entre Strazzante et Wagner stipule (en son annexe  » D « ) que si le remboursement du subside était exigé, Robert Wagner en assurerait le paiement intégral. Wagner n’est pas inquiet à ce propos. Au cabinet Kubla, il tente de démontrer que les actifs subsidiés ont bel et bien été utilisés ou remployés, à Marcinelle ou ailleurs. Le dossier 960433 relatif au subside à rembourser entre alors en léthargie.

L' »irrégularité  » est pointée

Ce qui est sûr, c’est que le ministre Kubla ne prend aucune décision. En 2002-2003, l’administration lui adresse deux rappels. D’après un haut fonctionnaire préférant conserver l’anonymat, un courrier administratif interne a été rédigé durant l’été 2003 ; il proposait d’avertir la Commission européenne d’éventuelles irrégularités. Ce courrier n’est jamais parti… Après les élections de juin 2004, le MR Serge Kubla cède la place au PS Jean-Claude Marcourt. Le gouvernement wallon poursuit sa route sous la direction de Jean-Claude Van Cauwenberghe. Le dossier du subside Charleroi Découpe dort toujours. Il sort étrangement des limbes à la fin de 2005. Le 16 décembre, Le Vif/L’Express décortique les relations Van Cau-Wagner. Peu avant, l’administration wallonne et la Commission européenne sont interrogées par nos soins à propos du subside litigieux de Charleroi Découpe. Promu officiellement au grade d’inspecteur général, le haut fonctionnaire Bernard Wang contacté par téléphone déclare que  » tout semble en ordre « . Etrange… De leur côté, les fonctionnaires européens affirment ne pas avoir été informés et attendent des éclaircissements. Le cabinet Marcourt est informé, dit-il, par l’administration wallonne. Le 21 décembre 2005, celle-ci rédige une  » mise en demeure « . Fameux voyage dans le temps : l’administration reformule la même demande de remboursement que celle écrite en mai 2001. La bagatelle de 855 753,24 euros est réclamée, cette fois à Fabricom GTI, nouveau propriétaire de CCD (rebaptisée  » New CCD « ).

Le ministre Marcourt et le nouveau chef du gouvernement wallon, Elio Di Rupo, traitent soudain l’affaire avec diligence. A la mi-janvier, le service wallon chargé de détecter les irrégularités dans l’utilisation et l’affectation des fonds européens – service sous la tutelle directe de Di Rupo – décide d’avertir officiellement la Commission européenne. Ceci pourrait déboucher sur une enquête du respecté OLAF, l’Office européen de lutte antifraude. Chez les propriétaires successifs de CCD, tous les regards se tournent vers Robert Wagner. Le 23 janvier, celui-ci a défendu un nouvel argumentaire auprès du cabinet Marcourt. Sera-t-il davantage convaincant qu’en 2001 ?

Interrogé par Le Vif/L’Express, Serge Kubla affirme ceci :  » A l’époque, en 2001, Robert Wagner est effectivement venu à mon cabinet. Mes collaborateurs ont entendu ses arguments. Ils ont transmis ces précisions à l’administration. Ensuite, le dossier n’est plus jamais remonté à ma signature en vue d’une décision ferme. Ni pour demander un remboursement, ni pour autoriser le maintien des aides. Le dossier s’est apparemment enlisé.  » Dont acte. L’ancien ministre Kubla renvoie la balle vers l’administration. En définitive, qui a manqué d’empressement dans cette affaire ?

Philippe Engels

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