» M dansait bien « 

L’écrivaine Kristien Hemmerechts a changé les prénoms des protagonistes de sa  » fiction  » consacrée à Michelle Martin ( » Odette « ), écrite à la première personne. Sauf le M de Marc Dutroux… Extraits

« M dansait bien. « C’était à force de patiner, disait-il. Tous les bons patineurs sont de bons danseurs. » Il ne trouvait pas que je dansais bien, ni que je patinais bien, mais je dansais et patinais mieux que sa première femme. Et il me trouvait plus belle qu’elle. Ce que je trouvais moi aussi. Tout le monde le trouvait. Il avait peur qu’elle ne retrouve plus jamais un homme après lui. Il disait : « Je ne peux pas la laisser en plan, sinon elle ne baisera plus jamais. Tu sais ce que ça signifie pour une femme de son âge de réaliser qu’elle ne baisera plus jamais ? Je ne peux pas lui faire ça. » Alors il a organisé spécialement pour elle une fête à laquelle il a invité tous les célibataires qu’il connaissait. Et ils devaient amener avec eux tous les célibataires qu’ils connaissaient. Il a fait le DJ. C’était la première fois, mais il l’a très bien fait. Il n’a passé que des bambas et des slows romantiques. Et il a offert des chopes gratuites à ceux qui dansaient avec sa femme. Tant qu’elle n’avait personne d’autre, il se sentait responsable d’elle. Il me l’a dit tout de suite le jour où on s’est rencontrés. Je savais que je devais la prendre en prime.  » […]

Surtout pas de nouvelle fausse couche

 » Après ces deux ans, je suis sortie malade de prison. Ils m’ont déclarée invalide à soixante-six pour cent pour état dépressif chronique. M n’avait aucune considération pour ça. Il me traitait comme son esclave. Il exigeait des repas, il exigeait du sexe. A un certain moment, il s’est mis dans la tête de hausser le toit d’une de ses maisons, la maison qui avait été une ferme et que nous appelions souvent  » la ferme « . Plus tard, il m’y fourrerait comme locataire avec les enfants. Et me ferait payer un loyer, à moi, sa propre femme et la mère de ses enfants. Elle était vide. Il fallait la hausser, car ainsi elle vaudrait plus. Mais naturellement, il ne voulait payer personne pour faire ce travail. Pourquoi payerait-il quelqu’un puisqu’il avait du personnel gratuit ? J’ai donc dû monter et descendre à une échelle raide, comme un ouvrier du bâtiment, avec des tuiles sur l’épaule, alors que j’étais invalide, et enceinte. De mon petit trésor Jérôme. J’avais tellement peur de le perdre. Je ne voulais pas faire une deuxième fausse couche. Je ne prenais même plus mes cachets pour ma dépression. Le docteur avait dit qu’une faible dose était sans danger, mais je ne voulais courir aucun risque.  » […]

 » Je ne suis pas Hercule  »

 » Si M n’avait pas été en prison, j’aurais exécuté chaque ordre. J’aurais joué le rôle qu’il m’avait assigné. Chiens ou pas chiens, je serais entrée dans sa maison avec une casserole de nourriture dans la main et l’aurais portée aux enfants. J’aurais demandé des instructions précises, de manière à ne pas devoir réfléchir. Quoi faire si je n’arrive pas à faire glisser l’armoire ? si les enfants m’attaquent ? si elles se glissent dehors et s’enfuient ? Est-ce que je cuisine à part pour elles ou est-ce qu’elles mangent la même chose que nous ? Est-ce que j’attends près d’elles jusqu’à ce que leur assiette soit vide ? Est-ce que je peux leur donner des couverts ? une fourchette ? un couteau ? Est-ce que je dois les laisser aller à la toilette ? Est-ce que je dois les laver ? Laver leurs vêtements ? Quoi faire si elles tombent malades ? ont de la fièvre ? une vilaine toux ? Si la nourriture ne leur plaît pas ? Il m’aurait donné une réponse à toutes ces questions, avant même que je les aie posées.

Des gens écrivent des articles dans les journaux sans réfléchir. Ils écrivent  » chiens « , mais ils ne se demandent pas quels chiens, s’ils sont grands, s’ils sont forts, s’ils sont bruyants. Ils ne se demandent pas comment ça sent dans une maison où des chiens sont enfermés pendant des mois. Deux chiens et deux enfants, oui, mais surtout deux chiens, des chiens noirs, inquiétants, décharnés, stressés.

Ce que ces journalistes ne comprennent pas non plus, ou ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, c’est que l’eau de ville avait été coupée dans la maison. Pour donner à manger et à boire à tout le monde, j’aurais dû remplir un jerrycan d’eau chez moi et le trimbaler jusque-là.

Je ne suis pas Hercule !  » […]

Un outil entre les mains de Dieu

 » Une personnalité faible, facile à manipuler, une femme tourmentée.  » C’est ce que mon avocat a dit de moi dans une interview. Mon  » conseil « , comme ils l’appellent dans le journal. Alain, dit Elise. Maître Moyson, dis-je. Il reçoit des lettres de menace parce qu’il me défend. Les gens décrivent ce qu’ils voudraient lui faire. Ou faire à ses enfants. Qu’il n’a pas, heureusement.

A moi, il dit :  » Tu es une femme forte. Tu as survécu à M et tu survivras aussi à ceci. Il ne sera jamais libéré. Toi si. Toutes les conditions sont remplies.  »

Les conditions sont : avoir un logement, un travail et accepter un suivi psychologique. Anouk se charge de la condition numéro trois. Et grâce à mon ange salvateur, ma soeur Virginie, le couvent de Malonne s’occupe des conditions une et deux. Elle a gagné toutes les soeurs à sa cause et les a convaincues de m’accorder cette chance. Pas seulement à moi, mais aussi à Dieu, car c’est par moi que Dieu peut déployer Sa bonté surnaturelle et Son pouvoir phénoménal, comme un paon déploie sa queue. Je suis un outil entre Ses mains. Un instrument.  » […]

Les intertitres sont de la rédaction. La femme qui donnait à manger aux chiens, par Kristien Hemmerechts. Traduit du néerlandais (Belgique) par Marie Hooghe. Galaade éditions, 2014, pour la traduction française.

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