L’une prie, l’autre pas

Entre tradition et modernité, Karin Albou trace un double portrait féminin sensible et mémorable dans La Petite Jérusalem

(1) L’action du film se déroule en 2002, quand à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle s’ajouta l’  » importation  » de la deuxième Intifada dans certaines cités françaises.

C’est à Sarcelles, dans la banlieue parisienne, que Karin Albou a choisi de situer l’action de son premier long-métrage. Un des quartiers de cette ville a été surnommé  » la petite Jérusalem  » car de nombreuses familles juives immigrées en France s’y sont installées. Habitant une  » barre  » de HLM comme on en trouve tellement dans les cités, une famille comme beaucoup d’autres nous est présentée, avec la mère venue d’Afrique du Nord, les deux filles Mathilde et Laura, Ariel, le mari de la première, et les enfants du couple. Trois générations vivent ensemble dans un modeste appartement où les rires des gosses font régulièrement place aux rituels religieux. Car Ariel et Mathilde, très pieux, inscrivent leur existence dans une foi et une tradition judaïques que rien ne semble pouvoir altérer. Laura, plus jeune que sa s£ur avec ses 18 printemps, a entamé des études de philosophie et développe une pensée personnelle qui va forcément l’amener à une vision du monde différente de celle professée par les siens.

D’une caméra discrète, sensible, Karin Albou explore les relations entre les deux s£urs et au sein de la cellule familiale. Elle place non seulement le débat sur la question religieuse, mais aussi – et très intelligemment – sur celle de l’amour et du désir. Car Mathilde cherche à ranimer une flamme qui a quitté son époux, sans trop savoir comment s’y prendre, tandis que Laura éprouve ses premiers émois pour un voisin arabe taciturne et romantique. Et, pendant qu’au dehors certains se mettent à tabasser ceux qui portent la kippa et à incendier la synagogue du quartier, les deux femmes vont progresser chacune sur un chemin différent, au-delà des certitudes…

Le charnel et le cérébral, le pudique et le sensuel dialoguent d’heureuse manière dans La Petite Jérusalem, film subtil sur une réalité complexe offrant de beaux portraits féminins tout en éclairant la tentation qu’ont certains juifs français de gagner Israël (1). Une tentation dont Laura fera l’économie, préférant une voie personnelle, pleine d’interrogations mais aussi de promesses et, surtout, libre du carcan d’une certaine tradition.  » La liberté, déclare Karin Albou, c’est pour moi se contenter d’être dans la question sans essayer de chercher à tout prix des réponses.  » Nourri des doutes mais aussi des élans de sa jeune réalisatrice, le film trouve en Fanny Valette (Laura) et Elsa Zylberstein (Mathilde) un remarquable duo d’interprètes. La première, surtout, s’impose sans bruit comme une authentique révélation.

L.D.

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