» L’ONU doit administrer la Tchétchénie « 

L’attentat du 9 mai à Grozny a été condamné par Aslan Maskhadov, président tchétchène indépendantiste réfugié dans la clandestinité. Lequel appelle au  » dialogue politique  » pour mettre fin au conflit qui ravage la république caucasienne. Son ministre des Affaires étrangères, Ilyas Akhmadov, répond aux questions du Vif/L’Express

Que révèle cet attentat ?

E Contrairement aux assertions réitérées du Kremlin, il démontre que la guerre continue et que les forces fédérales russes, loin d’avoir le contrôle total de la situation en Tchétchénie, sont incapables de garantir la sécurité, y compris celle de leurs plus hauts responsables officiels. Où en est le Kremlin aujourd’hui ? Cet événement le renvoie cinq ans en arrière, là où il en était en septembre 1999, au début de la guerre actuelle : à chercher désespérément parmi les Tchétchènes des alliés loyaux qui consentiraient à mettre en £uvre la politique barbare du gouvernement russe. Il souligne le fait que Moscou ne dispose d’aucun plan, d’aucun mécanisme constitutionnel permettant de stabiliser effectivement la situation. Toute l’autorité politique du Kremlin en Tchétchénie se concentrait en la personne d’Akhmad Kadyrov [le président tchétchène prorusse]. Sa disparition plonge Vladimir Poutine dans une impasse. La seule issue qu’il envisage pour en sortir est pavée de sang. L’ensemble des déclarations d’officiels russes sur la mort de Kadyrov tient en un mot :  » vengeance « . Et sur qui s’exercera-t-elle ? Sur des centaines de milliers de civils innocents, comme à l’ordinaire.

La disparition de Kadyrov change-t-elle quoi que ce soit pour la Tchétchénie ?

E A l’évidence, elle n’aura pas d’influence fondamentale sur la situation, il suffit d’écouter ce que dit Poutine. Ses réactions prouvent qu’il est incapable d’appréhender correctement les réalités de la Tchétchénie.

L’attentat du 9 mai représente-t-il un sérieux revers pour Moscou ?

E Sans le moindre doute, oui. Dans la mesure où Kadyrov était le vecteur exclusif de la politique du Kremlin. Aujourd’hui, cette stratégie s’est effondrée comme un château de cartes. Poutine et les siens sont donc contraints de tout reprendre à zéro, c’est-à-dire là où ils ont commencé en 1999.

Que pensez-vous de l’attitude des dirigeants occidentaux, désormais très discrets à propos de cette guerre ?

E Nous pouvons témoigner du fait que, depuis la fin du siècle dernier, les droits de l’homme sont piétinés partout dans le monde. Des millions d’êtres humains en font les frais. Les raisons ne manquent pas qui expliquent pourquoi les Occidentaux ont choisi de fermer les yeux sur les crimes et les atrocités commis par la Russie en Tchétchénie. Avant tout, j’y vois une forme cynique d’opportunisme politique.

Il existe un plan de paix pour la Tchétchénie, soutenu par 24 000 signataires, dont près de 150 parlementaires européens. Comment et dans quelles conditions peut-il être mis en £uvre ?

E Moscou n’est pas en mesure d’atteindre ses objectifs politiques en Tchétchénie sans conséquences catastrophiques pour les deux parties û la tragédie des dix dernières années le démontre sans peine. L’obstacle majeur qui empêche la Russie d’évoluer vers une société européenne civilisée, c’est bien son inaptitude à régler les conflits autrement que par la violence û la Tchétchénie en témoigne. Mettre un terme à ce cycle meurtrier passe nécessairement par une intervention rapide de la communauté internationale. Le plan de paix proposé par Aslan Maskhadov et la direction tchétchène préconise l’institution d’une administration provisoire des Nations unies en Tchétchénie. Combien de temps, de sang versé faudra-il encore avant que se développe en Europe et dans le monde une volonté politique d’agir ? Je ne saurais le dire. Mais une chose est certaine : sans intervention extérieure, ce conflit ne connaîtra pas de fin.

Sylvaine Pasquier

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