L’oeil magique

Le Paradoxe ambulant. 59 essais de G.K. Chesterton, présentés par Alberto Manguel. Traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez. Actes Sud, 380 p.

Justement réputé fin goûteur de littérature, Alberto Manguel a réuni 59 essais glanés au fil de l’£uvre de Gilbert Keith Chesteron (recueils et articles parus dans différentes revues) : un acte de salubrité publique par les temps qui courent. Ce qui fait du vieux Chesterton (1874-1936) un écrivain remarquable et utile, c’est moins ce que ce polémiste chrétien taillé comme un cachalot croit, pense ou voit, que ses façons de croire, de penser et de voir. Deux mots les expriment et les relient : paradoxe et optimisme. Et tous deux demandent qu’on les manie avec précautions. Quand on parle de paradoxe, il ne s’agit certes pas de l’esprit de contradiction. Le génie de l’auteur de La Sphère et la croix ou des enquêtes du père Brown consiste à pen- dre toute proposition par les pieds pour lui faire vider le fond de ses poches. Ce pourfendeur des idées reçues a fait du paradoxe une méthode de pensée et de déduction où l’intelligence, autant que le plaisir et l’humour, trouvent son compte. Qu’il se fasse l’avocat du nonsense, des raseurs ou des bergères en porcelaine, qu’il disserte de la supériorité du plomb sur l’or ou des avantages de n’avoir qu’une jambe, c’est à chaque fois, sous les dehors du badinage, une plongée écumante au c£ur de la réalité humaine la plus fine et la plus profonde. Et qui débouche sur son inaltérable optimisme. Encore faut-il s’entendre à ce propos. L’optimisme qui revient à surestimer le monde où l’on vit et à se répéter avec le pharmacien Emile Coué que tout va pour le mieux ou à ne pas vouloir voir ce qui va mal est de l’ordre de la mauvaise plaisanterie.

L’optimisme de Chesterton ne procède pas du monde qui l’entoure et auquel il n’épargne pas ses critiques souvent virulentes, il procède d’un regard qui enchan- te ce monde pour le sortir de ses pénibles ornières. Il ne s’agit pas d’un bonbon, mais d’un exorcisme. En ce sens, Chesterton n’est pas seulement le poète de quel- ques recueils de vers d’une puissante originalité, c’est un poète de la vie. Un £il magique qui ne se laisse pas abuser par l’image et l’apparence, nos chères idoles. Et puis, dites donc, comment ne pas faire entière confiance à la lucidité d’un homme qui, convié à un débat, a tenu, en l’absence inopinée de son contradicteur, à soutenir successivement les deux thèses en présence ?

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