» L’Occident se ferme parce que le monde lui échappe « 

Spécialiste des questions russes et eurasiatiques (ULg), Nina Bachkatov s’insurge contre la campagne de dénonciation des  » réseaux russes « .

Les réseaux russes relèvent-ils du mythe ou de la réalité ?

Comme politologue et journaliste, je trouve déplorable cette campagne de dénonciation, le plus souvent sur la base de on-dit, sans preuve, des soi-disant réseaux russes. Ça tue le débat. Certains risquent de ne plus s’exprimer de peur d’être pris pour des marionnettes de Poutine. On pourrait retourner la question : pour qui roulent les dénonciateurs ? Je suis absolument persuadée que la Russie, comme tous les pays normaux, essaie d’influencer les opinions publiques. Ce n’est pas une raison pour semer la suspicion sur les gens, y compris dans le monde académique.

N’est-on pas à la veille d’une redistribution des influences politiques ?

Il est temps de se rendre compte que le monde est plus vaste que l’Otan ou l’Union européenne. Il est urgent qu’on arrête de se remonter les uns contre les autres. La menace vient du Sud, pas de l’Est. Au Moyen-Orient, les Russes ont gardé des relais dans tous les camps. Ils ont une  » patience orientale « , une connaissance du terrain, un feeling pour les autres, aidés par des armées de journalistes et de diplomates qui maîtrisent parfaitement les langues de la région. L’Occident se ferme parce que le monde lui échappe. Cette posture est alimentée par des dizaines de think tank financés par les Etats-Unis et l’Union européenne. En ciblant Poutine, on facilite le travail des Russes les plus radicaux.

La propagande russe est-elle efficace ?

Les Russes se sont beaucoup investis dans le soft power mais ils s’y mettent tard et maladroitement, ce qui leur donne une mauvaise image. Les responsables russes que je rencontre régulièrement ont une vision un peu plus sophistiquée que ce qu’on entend dans leurs médias.

La chaîne de télévision RT n’a-t-elle pas le mérite d’exister à côté de CNN ou d’Al Jazeera ?

Au début, en 2005, c’était plutôt pas mal, très professionnel. Je l’ai suivie en anglais parce qu’elle apportait une autre vision du monde. Puis, elle a commencé à déraper en devenant systématiquement antiaméricaine et en épinglant tout ce qui ne va pas en Europe. Je continue à regarder ses reportages sur la Syrie parce qu’il y a des journalistes  » embarqués  » des deux côtés du conflit. Si on regarde les images de propagande de Daech, toutes les femmes sont voilées. Sur RT, les femmes ne sont pas voilées, les petites filles courent librement dans la rue, et ça, aussi, c’est le reflet de la Syrie, un pays autrefois très laïque, comme l’Irak. Le rôle principal de l’agence de presse Sputnik, c’est d’être reprise dans les revues de presse. On n’est pas obligé de la croire.

ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN

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