L’ISLAM DES PENSEURS ET CELUI DES CENSEURS

A force de s’interroger sur l’islam des banlieues, des prisons, des mosquées souterraines, des réseaux sociaux ou des sites Web de propagande, on en est arrivé à oublier les débats, très vifs, que se livrent entre eux, et à ciel ouvert, les intellectuels musulmans. Ces querelles verbales, écrites, théoriques témoignent pourtant d’un questionnement intense, qui gravite autour du sujet essentiel : l’objectivisation de cette religion. Peut-on parler de l’islam en toute liberté, comme on le fait, depuis des lustres, pour le christianisme ? Plus précisément, peut-on attribuer à cette religion des effets sociaux sans être, automatiquement, taxé de racisme ? Soyons clairs, il ne s’agit pas d’aborder la question de la légitimité des caricatures ou des diatribes, comme on en a tant vu et entendu, mais de s’interroger sur tout autre chose : la relation entre des comportements déplorables, au regard des critères de civilisation occidentaux, et leur possible conditionnement par des sociétés musulmanes réputées rétives à la modernité.

C’est la – très bonne – question posée par l’écrivain et journaliste Kamel Daoud, auteur d’une tribune qui a déchaîné les passions (contre lui) dans Le Monde (1). En l’occurrence, cet intellectuel s’interroge avec une conscience douloureuse sur un point très précis, et totalement décisif, de l’intégration, à savoir le rapport à la femme des jeunes issus de l’immigration musulmane. Son point de vue mérite le respect, même s’il reste parfaitement légitime de le contester :  » En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps mais ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité, et cela, on l’oublie avec dédain. Sa culture est ce qui lui reste face au déracinement et au choc des nouvelles terres. Le rapport à la femme, fondamental pour la modernité de l’Occident, lui restera parfois incompréhensible pendant longtemps lorsqu’on parle de l’homme lambda.  » Et d’ajouter :  » Cela changera très, très lentement. […] Le réfugié est-il donc « sauvage » ? Non. Juste différent, et il ne suffit pas d’accueillir en donnant des papiers et un foyer collectif pour s’acquitter. Il faut offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer. L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir.  »

On ne pourra pas explorer ici toute la profondeur de la rage qui s’est déchaînée contre Kamel Daoud, mais on peut en saisir la teneur à travers ce jugement d’un collectif d’intellectuels (pas seulement musulmans) :  » Dans le contexte européen, il (Daoud) épouse toutefois une islamophobie devenue majoritaire. Derrière son cas, nous nous alarmons de la tendance généralisée dans les sociétés européennes à racialiser ces violences sexuelles (2).  » Et de s’en prendre à l' » approche culturaliste « , l’horreur absolue puisqu’il faut, coûte que coûte et contre toute vérité, que les graves troubles de Cologne s’expliquent uniquement par le facteur  » social « . Tant pis si tout démontre qu’il existe bel et bien une  » maladie de l’islam « , comme le déplorait amèrement le regretté et insuspectable penseur Abdelwahhab Meddeb, qui avait bien mesuré le risque  » de pointer la dérive des siens et d’aider à leur ouvrir les yeux sur ce qui les aveugle « .

(1) Le Monde du 31 janvier 2016 :  » Cologne, lieu de fantasmes « , par Kamel Daoud.

(2) Le Monde du 11 février 2016 :  » Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés « , collectif.

par Christian Makarian

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content