Linx partage la voix

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Toujours en compagnie de son frère siamois Diederik Wissels, David Linx partage son univers vocal avec deux femmes – Fay Claassen et Maria Pia De Vito – pour un disque pacificateur

O ne Heart, Three Voices apparaît sous une pochette sobre montrant trois bas de visages. On reconnaît d’emblée celui de David, le menton couvert d’une fine barbe, la chemise ouverte sur un torse glabre. A ses côtés, deux bouches de femmes, deux esquisses de mystère. L’ensemble évoque le classicisme d’un tableau du Caravage. La musique est aussi élégante, aussi intemporelle. Cette fois-ci, la symbiose Linx/Wissels – entourée de la section rythmique Christophe Wallemme/Stéphane Huchard – a intégré deux autres vocalistes.  » C’est simplement le résultat d’une double rencontre, explique David Linx. Fay Claassen est une chanteuse hollandaise croisée sur un disque d’Ivan Paduart, et Maria Pia De Vito, une artiste originaire de Sardaigne, que j’ai découverte lors d’un festival en 1998. En studio, on a consacré les dix premières minutes à la mise en place, ensuite, c’est devenu une affaire physique ( rires). Ce n’était même plus nécessaire de se regarder pour chanter.  »

Voilà donc une équipée à trois, serrant les routes du jazz dans les bras devenus communs, embrassant du même verbe le swing et les balades sur l’avenue du spleen. Le tout, sur des tempos millimétrés, en légère position d’acrobatie, mais revenu de toutes les démonstrations inutiles. One Heart, Three Voices propose quinze plages d’un univers apaisant : comme si les échos du monde extérieur se contentaient de rebondir sur la surface ronde de la musique. Même s’il arrive au disque de donner des indications géographiques, comme ce semblant de Brésil qui caresse I Will Build Myself a Nation, il apparaît rigoureusement droit et classique, très écrit et soigné dans ses performances vocales. L’  » accompagne-ment  » – un vilain mot pour une telle qualité de travail – est d’une sobriété qui confine à l’invisibilité. L’un des plus beaux moments vient sur Now Go and Fly, une sublime mélodie de Wissels emportée par la voix totalement libérée de Fay. On remarque une nouvelle fois combien Diederik est le meilleur complément direct de David :  » On se connaît tellement bien, on ne doit rien se dire et ce n’est jamais deux fois la même chose. Si on était las l’un de l’autre, on ne se pardonnerait pas de continuer à travailler ensemble.  »

Fidèle à l’amitié de Diederik, David l’est aussi au chant :  » Dès mes débuts, ce sont le chant et l’amour de la musique qui m’ont guidé. Je pense que ce disque prouve que l’on peut être libre lorsque les bases musicales sont posées. Cet album vient d’un projet à sept voix monté l’année dernière à l’Opéra de Lyon : j’ai aujourd’hui le luxe de pouvoir roder le répertoire avant de l’enregistrer. Je connais désormais le bonheur de progresser, ce qui vient généralement après une vingtaine d’années de travail  » ( rires). One Heart, Three Voices est l’un des disques les plus dépouillés de Linx/Wissels en quinze ans de collaboration : dégraissé jusqu’à la moelle a cappella de la plage titulaire où les trois vocalistes se répondent en écho, à l’écart de tout instrument perturbateur. On peut pratiquement entendre le souffle du corps, sa respiration, son horloge interne. Cette réussite conforte David dans l’idée que la France – où il habite depuis six ans et où a été enregistré le disque – est bien la meilleure destination pour les musiciens de jazz :  » La France représente à mes yeux le premier pays de jazz au monde, même si, comme partout ailleurs, les priorités ont complètement changé : dans le jazz aussi, on a peur que les carrières n’aillent pas assez vite.  » Celle de David – déjà couronnée par de multiples récompenses hexagonales – connaît l’un de ses plus beaux moments depuis l’aventure discographique avec Baldwin. C’était en 1990.

CD One Heart, Three Voices chez E-motive/AMG. En concert le 27 janvier à 20 h15, au studio 4 de Flagey, à Bruxelles. Le concert est précédé d’une rencontre (gratuite) avec les artistes, au studio 1, à 19 heures. Infos sur www.flagey.be

Philippe Cornet

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