Buddy Body mêle témoignage et création sonore de la DJ Rokia Bamba. © Julien Hayard

L’intensité du court

Pour la dernière fois, le festival XS fait rayonner une multitude de spectacles courts du sommet au sous-sol du Théâtre national. Trois artistes qui y seront présents croisent leurs paroles sur les bienfaits et les contraintes du format bref.

Dans les arts de la scène comme au cinéma, la forme courte, à laquelle le festival XS est dédié (1), sert souvent de tremplin, de première étape avant une forme plus longue. Pour la danseuse et chorégraphe lyonnaise Marion Alzieu, un format de vingt-cinq minutes s’est avéré idéal pour son premier solo, Ceci n’est pas une femme blanche, créé en 2014 et qui, depuis, a fait le tour du monde. « Pour cette première pièce, je ne me voyais pas exécuter un solo d’une heure, avoue-t-elle. Une durée plus courte faisait vraiment sens parce qu’elle me permettait d’exprimer ce que j’avais à dire et c’était suffisant. »

Le court, c’est comme tailler un rosier: il faut dégager la tige principale.

En l’occurrence, le message qu’elle porte reflète son parcours de danseuse blanche ayant évolué dans des compagnies de chorégraphes noirs – les Burkinabés Salia Sanou et Serge Aimé Coulibaly, et le Franco-Sénégalais Amala Dianor. « Je voulais interroger le fait d’être ramené à sa couleur, ce que je n’avais jamais expérimenté avant. Derrière ce titre emprunté à Magritte, avec toute l’ironie qu’il met dans Ceci n’est pas une pipe, l’idée est d’aller au-delà de l’étiquette qu’on colle très vite sur une personne, sur un artiste et qui fait qu’on attend d’un danseur une certaine physicalité, une certaine gestuelle, un certain engagement », souligne Marion Alzieu.

Dans Ceci n'est pas une femme blanche, Marion Alzieu fait fi des étiquettes.
Dans Ceci n’est pas une femme blanche, Marion Alzieu fait fi des étiquettes.© Paolo Porto

Urgence

La chorégraphe, qui travaille actuellement à sa première pièce de groupe, relève que si le format court contraint les programmateurs à trouver le complément idéal pour composer une soirée complète, cette forme induit une spontanéité vivifiante: « Parce qu’on sait qu’on doit capter le public rapidement. Il y a une forme d’urgence à être efficace. »

Sur cette nécessité d’aller à l’essentiel, Marion Alzieu rejoint Elsa Poisot, qui présentera à XS Buddy Body, vingt-cinq minutes également, une forme multidisciplinaire basée sur un témoignage. « Le temps limite la matière, on ne peut pas tout faire rentrer, analyse cette dernière, déjà autrice et metteuse en scène de Kinky Birds, en 2016. Ça oblige à faire de vrais choix. C’est comme tailler un rosier: il faut dégager la tige principale. »

Dans le cas d’Elsa Poisot, Buddy Body est une forme exploratoire pour un spectacle long à venir, qui compilera plusieurs témoignages de femmes autour de cette question: à quel moment votre corps vous a surprise? Le premier témoignage qu’elle a récolté, au hasard d’une rencontre, était tellement puissant qu’elle en a fait d’abord une forme courte autonome. « Cette personne m’a livré un récit éthique, philosophique, punk, transgressif, qui touche à la construction de soi, à l’injonction faite aux jeunes filles d’être féminines, fragiles, à sa capacité à se défendre, à ne pas être une victime. Si, au départ, l’idée consistait à valider ce qui était faisable avec une première matière, c’est devenu un objet indépendant. » Les paroles de la témoin, portées par Marion Lory, se mêlent à la création sonore de la DJ Rokia Bamba, qui rend dansants les propos de la philosophe Nathalie Grandjean sur les manières dont le pouvoir s’exerce sur les corps.

Sensations

Une forme longue qui compile plusieurs formes courtes, au cirque, on connaît bien. La discipline a en effet reposé pendant longtemps sur une succession de numéros, où chaque séquence va crescendo. « Pour un artiste de cirque traditionnel, il s’agit de partir du plus simple pour aller vers le plus complexe, son plus gros exploit, développe Simon Carrot, fondateur de la compagnie La Tournoyante. Dans le cirque contemporain, on utilise aussi cette logique, mais il s’agit plus d’une logique des sensations que de l’exploit. Parce que si je montre quelque chose qui fait une impression plus forte avant, ce que je vais montrer après n’aura plus de sens. »

Au XS, Simon Carrot présente On ne s’étonne plus assez de marcher sur la Terre. Cette forme de vingt minutes, « construite presque comme un numéro », s’insère dans un projet plus large lancé en 2017, . « C’est un projet de recherche circassienne autour de la force électromagnétique et de la gravité transformée, précise-t-il. Pendant deux ans, j’ai travaillé avec le sculpteur Ulysse Lacoste pour concevoir un dispositif transformateur de pesanteur. »

Sur la base de ce dispositif aux combinaisons infinies, Simon Carrot a créé une forme longue, puis des formes de quelques minutes, capables d’investir l’espace public. Né pendant le Covid, On ne s’étonne plus assez de marcher sur la Terre est un intermédiaire entre ces deux extrêmes, avec six circassiens et un pianiste en live sur un grand plan incliné. C’est à la fois un point d’arrivée et de départ. « Il y a quelque chose ici de l’ordre de la maturité, ajoute le metteur en scène. C’est une forme aboutie, qui nous a permis de synthétiser nos idées. Mais c’est aussi une préfiguration du spectacle suivant, une forme longue, Collapsing Land. Et tout porte à croire que Collapsing Land sera aussi une étape vers autre chose. » Car la création est une histoire sans fin, que le format court n’a pas fini de nourrir.

(1) Festival XS: du 31 mars au 2 avril au Théâtre national à Bruxelles, theatrenational.be

On ne s'étonne plus assez de marcher sur la Terre met à l'épreuve la gravité, sur un plan incliné.
On ne s’étonne plus assez de marcher sur la Terre met à l’épreuve la gravité, sur un plan incliné.© Espace Catastrophe Mathilde Schockaert

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