L’inquiétante fragilité de Sarah Moon

Mannequin dans les sixties, Sarah Moon se passionne rapidement pour le versant technique du métier et décide de traverser l’objectif vers 1970. Une reconversion parfaitement maîtrisée !

Il y a une quarantaine d’années, Sarah Moon s’imposait dans la photographie de mode avec un style inclassable : un univers hors du temps où règnent en maîtres onirisme et mystère. Faisant l’unanimité, ses campagnes pour Cacharel lui offrent d’emblée une renommée inespérée. On les revoit… Dans un décor faisant la part belle au pastel, des jeunes filles perdues dans leur rêverie et parfumées d’une douce étrangeté. Des années durant, elle ne traquera la beauté que dans des studios apprêtés. Elle ne la voyait alors que parée et soigneusement maquillée, autant d’artifices à dépasser pour capturer une réelle intensité.

Un panorama éclairé

Sa carrière prend un tournant décisif au milieu des années 1980 : elle abandonne les commandes publicitaires pour se consacrer davantage à des projets plus personnels, purement artistiques. Elle sort des studios et fait alors de Paris – de ses rues et trottoirs méconnaissables – son nouveau terrain de jeux. Dans sa lancée, elle adopte le Polaroïd noir et blanc avec négatif. Un média idéal pour évoquer la solitude, l’irréel et le temps qui passe. D’ailleurs, une grande partie de ses tirages sont marqués par des dégradations… L’artiste va jusqu’à gratter ou salir volontairement ses négatifs de manière à inscrire dans le support la marque du temps, l’avancée inexorable vers la destruction. L’autre façon de brouiller les pistes, c’est de jouer sur les flous. Les ambiances étranges et l’atmosphère irréelle se dégageant de ses photographies sont souvent renforcées par l’usage de ce procédé. Il y a ceux dus aux mouvements du sujet et à un long temps de pose, et ceux orchestrés par des expositions répétées d’une même image légèrement décalée à chaque fois, dédoublant ainsi les contours.

Intitulée Coïncidences, l’exposition du Botanique offre un panorama éclairé de sa production. Les £uvres présentées ont fait l’objet d’une sélection très personnelle et minutieuse de l’artiste parmi ses tirages et ses films réalisés après 1985 mais aussi parmi ses photographies de mode plus anciennes. Le rez-de-chaussée est habillé de très nombreux tirages en noir et blanc tandis que l’étage est réservé à la couleur vers laquelle l’artiste se tournera ponctuellement. Une formidable succession d’atmosphères chargées d’inquiétude, tenant autant du rêve que du cauchemar.

 » Un jour en hiver sur la plage, une mouette entre dans mon viseur par la droite, elle me regarde, elle s’en va, je l’oublie. Longtemps après sur la planche de contact d’un film que je croyais perdu, je l’ai trouvée ou retrouvée. […] mystère ou magie de la photographie… coïncidences…  » (Sarah Moon)

Sarah Moon, Coïncidences, Le Botanique, rue Royale, 236 – 1210 Bruxelles. Jusqu’au 14 août. www.botanique.be

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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