L’INÉVITABLE MUTATION DE LA BELGIQUE

Les Belges ont beau entretenir un détachement optimiste face à la plupart des épreuves ; difficile ces jours-ci de ne pas éprouver un malaise, de l’inquiétude ou de la colère devant ce que révèlent les attentats du 22 mars de l’état de notre pays. Des rivalités personnelles qui empêchent la transmission de l’adresse de la planque de Salah Abdeslam aux tensions récurrentes entre échelons fédéral et local de la structure post-affaire Dutroux des forces de l’ordre, comme le met en évidence notre enquête (lire page 22). Du contrôle trop lâche de la liberté conditionnelle des terroristes Ibrahim et Khalid El Bakraoui à l’interrogatoire a minima de Salah Abdeslam après son arrestation, en passant par le délai de réaction sujet à controverse des autorités entre les explosions de Zaventem et celle du métro Maelbeek. De l’indifférence politique locale face à l’emprise du salafisme sur les populations de certains quartiers urbains à la complaisance de la Belgique face au wahhabisme d’Etat saoudien. Les mises en cause sont multiples et douloureuses. La commission d’enquête parlementaire et d’autres investigations internes devront démêler les dysfonctionnements avérés des soupçons infondés. Mais, d’ores et déjà, se pose la question du défi qu’une menace terroriste durable fait peser sur le fonctionnement de la Belgique.

 » Après avoir fait l’éloge de la fragilité, nous (Occidentaux) ne savons plus comment nous réconcilier avec la force au moment où nous en avons le plus besoin « , analyse le philosophe Michel Eltchaninoff dans la dernière livraison de Philosophie magazine. Peut-être parce que  » l’apothéose de la force a mené à la guerre totale et au désastre d’Auschwitz, de Dresde et d’Hiroshima « . Par leur caractère sans précédent dans notre histoire, les événements que nous avons vécus imposeront une réflexion sur le renforcement des pouvoirs et de l’efficacité de l’Etat. Mais un Etat fort n’induit pas nécessairement qu’il soit autoritaire, liberticide ou nuisible au vivre ensemble (lire l’entretien page 8).

Les couacs de la gestion de la menace terroriste ont en effet révélé si pas un Etat failli, comme d’aucuns se plaisent à l’avancer, en tout cas un Etat faible. En somme, une  » institution Belgique  » fragilisée à la fois par la répulsion pour la culture du résultat du socialisme d’hier et par le désinvestissement de la chose publique d’un certain libéralisme. A ces deux tares s’ajoute le constat que  » depuis toujours, la Belgique dilue le pouvoir « , selon la formule du sociologue Christophe Mincke, auteur d’une tribune dans Le Monde. La nouvelle donne questionne inévitablement notre construction fédérale, si pas dans son principe, parce qu’elle nous a sans doute épargné des violences intercommunautaires, certainement dans son efficacité.

Mais la réplique au défi terroriste ne peut pas engager que la responsabilité des politiques.  » Comment inventer un chemin entre notre méfiance atavique à l’égard du « système » et la demande de plus d’Etat ? « , interroge aussi Christophe Mincke. L’insouciance que nous, Belges, arborons depuis longtemps comme une arme contre la sinistrose ne s’est-elle pas transformée en indolence coupable face aux atteintes à nos valeurs ?

Nos responsables politiques seront confrontés, ces prochains mois, à des enjeux cruciaux pour la crédibilité de l’Etat de droit. Les dernières passes d’armes auxquelles ils se sont livrés ne rassurent pas sur l’issue des débats. Le plus bel hommage qu’ils pourraient rendre aux victimes des attentats du 22 mars serait pourtant de se montrer à la hauteur des défis posés par un ennemi qui ne cherche qu’à nous diviser, davantage encore.

de Gérald Papy

 » Les attentats imposeront une réflexion sur le renforcement des pouvoirs et de l’efficacité de l’Etat  »

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