L’indécence de Dexia

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Sauvé par deux fois grâce à l’intervention des pouvoirs publics belges, le groupe Dexia a couvert pendant des années la création de sociétés offshore. Une commission d’enquête devra faire la lumière sur cette pratique. Et sur la responsabilité éventuelle de ceux qui l’ont tue.

Les responsables politiques qui siégeaient au conseil d’administration de Dexia pouvaient-ils ignorer que le groupe couvrait les agissements illégaux d’une filiale spécialisée dans la création de sociétés offshore pour ses clients les plus fortunés ? Après l’indignation soulevée par cette information des journaux Le Soir, De Tijd, Knack et MO* sur la base des Panama Papers, cette question surgit inévitablement.

De quoi parle-t-on ? De 1996 à 2011, la firme luxembourgeoise de conseil fiscal Experta Corporate & Trust Management, filiale de la Banque internationale à Luxembourg (BIL) à partir de 2002, elle-même filiale du groupe Dexia, a oeuvré, via le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, à la création de 1 659 sociétés offshore, essentiellement panaméennes. A ce titre, Experta a été le client le plus important du cabinet d’avocats panaméen. Rien, dans les documents épluchés, n’indique toutefois que Dexia Belgique envoyait ses clients vers Experta pour la création de sociétés offshore.

Indécent et cynique, néanmoins : le groupe franco-belge a été sauvé de la banqueroute par deux fois, grâce aux deniers publics. En 2008, la facture de ce sauvetage s’élève à 6 milliards d’euros, dont 3 à charge de la Belgique : 1 milliard pour l’Etat fédéral, 500 millions pour la Flandre, 350 pour la Wallonie et 150 pour Bruxelles. De son côté, le holding communal avait aussi injecté 500 millions d’euros, Arco (la société d’investissement du Mouvement ouvrier chrétien), 350 et Ethias, 150. Rebelotte à la fin de 2011, lorsque le gouvernement belge décide de nationaliser Dexia Banque Belgique, pour 4 milliards d’euros. Cette lourde dette morale n’empêchera pas le groupe Dexia de poursuivre sa collaboration avec la firme Experta.

Logiquement ulcéré, le ministre des Finances N-VA, Johan Van Overtvelt, a demandé qu’une enquête soit ouverte sur ces activités et sur les responsabilités qui y sont liées.  » Il est inconcevable qu’une institution financière maintenue sur pied avec de l’argent du contribuable se soit mêlée à une telle échelle, activement ou passivement, à de l’évasion fiscale « , a-t-il dit.

Si une commission d’enquête parlementaire devait être créée pour l’occasion, ce ne serait pas une première : en 2009, une commission spéciale s’était penchée sur la situation du groupe Dexia. Mais elle n’avait pas permis d’investiguer la question des responsabilités personnelles et politiques. Yves Leterme (CD&V), alors Premier ministre, avait par exemple refusé de venir s’expliquer devant les parlementaires. Refus qui serait inapplicable dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, celle-ci disposant des mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction.

Selon les journaux à la source de cette révélation, il est prouvé que la direction du groupe Dexia était informée de l’existence de ces pratiques illégales. Le gouvernement belge ne manquait pourtant pas de représentants politiques au sein du conseil d’administration de Dexia : l’ancien Premier ministre CD&V Jean-Luc Dehaene, Francine Swiggers (Arco), Francis Vermeiren (président Open VLD du holding communal) et Elio Di Rupo (PS). Savaient-ils ? Pourquoi n’ont-ils pas mis un terme à ces pratiques ? Et s’ils ne savaient pas, comment cela a-t-il pu leur échapper ? Interrogée par De Morgen, Francine Swiggers a affirmé que ces activités illégales n’avaient jamais été évoquées en conseil d’administration et qu’elle n’imaginait pas une seconde, s’il en avait été informé, que Jean-Luc Dehaene ait pu les tolérer.

Laurence van Ruymbeke

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