Liège, capitale de la Résistance

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

L’officieuse  » capitale wallonne  » de l’époque a payé un lourd tribut à une guerre qui l’a vue s’opposer, autant que possible, à l’occupant allemand.

On est bien avant la fusion des communes. Liège compte, en cette veille de Seconde Guerre mondiale, quelque 168 000 âmes. La plus grande ville de Wallonie en somme et sa  » capitale  » officieuse à une époque où les Régions d’aujourd’hui n’ont pas encore droit de cité. Une envergure qui s’explique notamment par la présence d’une université, d’un diocèse ou d’un bassin sidérurgique et charbonnier important. Sa situation géographique et stratégique, à l’est du pays (près de la Hollande et de l’Allemagne), en fit une position fortifiée vingt-cinq ans plus tôt : entre les deux guerres, les forts de 1914, inspirés par la ligne Maginot, ont été rénovés et renforcés.

Politiquement, Liège est déjà un bastion du centre-gauche. Socialistes et libéraux (terme qui n’avait pas la même résonance à l’époque) gérent une ville où la présence communiste dans les communes ouvrières (Seraing, Ans, etc.) n’a rien d’anecdotique.  » A l’opposé, les rexistes avaient également fait une percée remarquée aux législatives de 1936, en récoltant environ 20 % des voix. Mais les sympathies du parti pour le régime nazi provoquèrent son écroulement dans les trois années qui suivirent : pour des raisons différentes, la gauche laïque et la droite catholique n’aimaient pas l’Allemagne nazie « , confie le Liégeois Alain Colignon, historien au Ceges/Soma (Centre d’études et de documentation Guerre et sociétés contemporaines) et spécialiste de la question. Voilà le contexte d’une ville qui doucement se relève après la crise du début des années 1930. En témoigne l’organisation d’une exposition internationale centrée sur l’eau, qui est interrompue en 1939 quand sonne le début des hostilités. Vient alors la guerre proprement dite…

 » Le 10 mai 1940, des planeurs allemands atterrissent sur le glacis d’Eben-Emael et le neutralisent en quelques dizaines de minutes avec des charges explosives : les nouvelles techniques de combat utilisées par les Allemands ont rapidement raison de la position fortifiée. Les positions de l’armée belge sur le canal Albert s’écrouleront en quelques heures. Le 3e Corps d’armée, censé défendre Liège, doit battre en retraite vers l’ouest dès le 11 mai. Les forts de Liège vont continuer la lutte, mais en  » enfants perdus « , en pure perte. Le 29 mai, le dernier fort, celui de Tancrémont, se rend, 24 heures après la capitulation de l’armée « , poursuit Alain Colignon. Courageuse mais vaine, la résistance des positions liégeoises laisse donc place, dès cet instant, à une mainmise totale de l’armée allemande. Même si la ville en elle-même est occupée depuis le 12 mai dans l’après-midi, quand la première colonne de la 269e Division d’infanterie allemande investit la place Saint-Lambert. C’est le bourgmestre socialiste de l’époque, Joseph Bologne, qui  » accueille  » l’envahisseur… Au plan des dégâts, pas grand-chose à signaler entre ces 10 et 12 mai, si ce n’est la destruction, par le génie belge, d’une série de ponts liégeois.

Les Allemands au palais des Princes-Evêques

 » Les Allemands vont établir une  » Festung kommandantur  » au palais des Princes-Evêques. Laquelle se transformera, dès que la situation sera stabilisée, en  » Oberfeld Kommandantur « , dont les généraux successifs résideront dans le palais. C’est là aussi que les Allemands établiront un tribunal militaire tandis que la citadelle deviendra un centre de détention et d’exécution. Une aile de la prison Saint-Léonard est par ailleurs réservée à l’occupant, pour y détenir les personnes convaincues d’hostilités envers les Allemands. Quant aux casernes de la ville, elles sont également occupées « , lance encore l’historien et bibliothécaire du Ceges/Soma.

Etablie à la rue Clemenceau, une petite équipe de militaires fonctionnarisés supervise l’administration de la ville, qui reste entre les mains, bon gré mal gré, du mayeur Bologne. Comme partout en Belgique, l’attitude des Allemands est plus  » coulante  » que durant la Première Guerre mondiale et leurs exigences ne semblent pas démesurées. Pas directement du moins. Si la population reconnaît que l’ennemi se montre  » correct « , rares sont les habitants, rexistes mis à part évidemment, qui portent l’Allemagne dans leur c£ur. Mais les conditions de vie se détériorent rapidement, surtout à partir de l’hiver 40-41. Dans le même temps, des prisonniers de guerre liégeois croupissent dans les camps allemands et les mesures antijuives (le mayeur Bologne a accepté l’établissement d’un registre des juifs) se durcissent progressivement. D’après Alain Colignon, le mouvement de mécontentement démarre à la fin de l’année 1940 :  » Ce mécontentement se matérialisera notamment par des dépôts de gerbe, le 11 novembre 1940, en hommage aux morts de la guerre précédente. Puis par de petits mouvements de grève dans les bassins industriels et par une contre-manifestation violente quand le chef rexiste Léon Degrelle organise, début janvier 1941, un meeting dans lequel il se rallie clairement au nazisme, en criant  » Heil Hitler « . Au printemps 1941, des ménagères organisent des marches de la faim dans les quartiers ouvriers et, en mai 1941, un véritable mouvement de grève (que l’on appellera la  » grève des 100 000 « ) démarre à partir du bassin sidérurgique pour s’étendre à l’ensemble des bassins wallons. Les industries stratégiques seront paralysées pendant plusieurs jours. « 

Des attentats en grand nombre

Dans le même temps, la résistance  » militaire  » s’organise, d’abord chez les patriotes belgicistes et dans de petits noyaux de militants wallons, puis dans les rangs de la gauche. Le plus célèbre résistant de la Seconde Guerre mondiale en Belgique se nomme d’ailleurs Walter Dewé, et il est liégeois d’origine… Si la population, comme dans le reste du pays, tente de s’accommoder de la situation et de survivre, elle manifestera rapidement de la sympathie pour ces mouvements de Résistance. Lesquels commenceront sérieusement à titiller l’occupant allemand qui, devant cette nouvelle menace, aura tendance à s’appuyer davantage sur les rexistes, très minoritaires. L’entente relative entre le bourgmestre Bologne et les Allemands vacille dès mars 1942, quand le socialiste refusera la création d’un  » Grand Liège « , censé absorber les communes périphériques. Bologne s’opposera également à la distribution de l’étoile jaune aux juifs de la ville, à l’été 1942. Le Grand Liège sera finalement institué par l’occupant, à la fin octobre 1942 : 29 communes ou tronçons de communes seront réunis  » sous une seule entité communale dirigée par un conseil communal d’Ordre nouveau. Les résistances sont déjà bien aiguisées et les collaborateurs liégeois sont sous tension. Les assassinats de collaborateurs se multiplient ; des représailles s’ensuivent. Le premier bourgmestre rexiste de Liège, Gérard Willems, démissionnera d’ailleurs rapidement pour cause de maladie nerveuse. Il sera remplacé par un rexiste fanatique à la poigne de fer, Albert Dargent, qui préside alors aux destinées d’un Grand Liège de 410 000 habitants. Excédés par les attentats dont leurs camarades sont victimes, les rexistes vont abattre, en août 1943, les francs-maçons Horrent (un député libéral) et Boinem (un instituteur) : la vague d’attentats continue néanmoins et on dénombrera, sur l’arrondissement judiciaire de Liège, pas moins de 212 attentats. Les autorités communales d’Ordre nouveau en éviteront même un de justesse, le 10 mai 1944, quand la salle du collège sera détruite par une bombe. « 

La fin de l’Occupation est proche. Les Alliés bombardent les points stratégiques de la périphérie liégeoise, en vue du Débarquement. Et la ville sera rapidement libérée, les 6 et 7 septembre 1944. Si les Allemands ne se sont pas attardés dans la cité, ils ont néanmoins pris le temps de faire sauter un char au carrefour de Fontainebleau, tuant une centaine d’habitants qui faisaient la file pour acheter du pain… Au sortir de cette période, le bourgmestre Bologne est réinvesti (provisoirement) dans ses fonctions et la ville, relativement préservée, n’a pas trop souffert au niveau de ses infrastructures. Pas encore du moins, parce que sa position géographique la laisse à proximité du front : l’automne 1944 et l’hiver 1945 seront particulièrement durs et meurtriers, puisque près de 1 600 missiles de type V1 et V2 s’abattront sur la région liégeoise, tuant un millier de personnes environ et en blessant bien davantage. Le patrimoine immobilier de la ville sera terriblement touché durant ces derniers moments de la guerre.  » A la fin de celle-ci, Liège sera considérée comme la capitale de la Résistance, par le nombre et la qualité de ses résistants, tant de  » gauche  » (Front de l’indépendance) que de  » droite  » (Armée secrète), voire du  » centre  » (Armée de la Libération, Mouvement national belge « , conclut Alain Colignon.

Malgré toutes les démarches entreprises, l’auteur n’a pas pu retrouver l’origine de certaines photographies. S’ils se reconnaissent, les ayants droit de ces photos peuvent prendre contact avec la rédaction.

GUY VERSTRAETEN

L’attitude des Allemands est plus  » coulante  » que durant la Première Guerre mondiale

La patrimoine immobilier de Liège sera terriblement touché à la fin de la guerre

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