Libre comme Vahina Giocante

Louis Danvers Journaliste cinéma

Celle que d’aucuns appellent  » la nouvelle Bardot  » crève l’écran dans Lila dit ça, un film où elle allie provocation utile et naturel stupéfiant

(1) Paru en 1996 (chez Plon) et publié dans une douzaine de pays.

Si la tête est bien faite, elle est aussi bien pleine. Vahina Giocante a beau se voir çà et là comparée à la Brigitte Bardot des débuts (celle de Et Dieu créa la femme), son intelligence et sa conscience aiguë du sens de ce qu’elle fait n’en brillent pas moins d’un éclat dont BB ne put jamais s’enorgueillir. Elle n’est pas entrée par hasard dans le projet de Lila dit ça, l’adaptation par Ziad Doueiri du sulfureux roman de Chimo (1), où une adolescente fascine et emporte un jeune homme par son discours ouvertement sexuel et provocateur, où les mots crus sont les vecteurs d’un amour sincère.  » On ne sait toujours pas aujourd’hui qui se cache derrière le pseudonyme de Chimo, commente Vahina Giocante. On ignore même s’il s’agit d’un homme ou d’une femme… Mais la parole qui s’y libère est une parole féminine, dont la franchise est de nature, au-delà d’une provocation qui n’est jamais gratuite, à faire bouger, réagir l’homme auquel elle s’adresse. D’autant plus que cet homme est arabe, héritier d’une tradition où une parole féminine aussi libre est inconcevable…  »

Histoire d’amour étonnante, Lila dit ça évoque aussi, de fait, des questions liées aux désirs parfois contradictoires des jeunes gens issus de l’immigration et oscillant entre la tentation répressive du repli identitaire et une salutaire ouverture où tout est à gagner, dans le respect des autres et de soi-même.  » Dans ce contexte, poursuit Giocante, les acquis supposés du féminisme se voient remis en cause ou carrément niés, même si certains préfèrent fermer les yeux sur ce phénomène.  » Lila dans le film n’est pas maghrébine, mais sa liberté, l’effet qu’elle produit sur Chimo en font une compagne de route piquante et déterminée de ces filles courageuses luttant en France sous l’appellation très significative de Ni putes ni soumises.

Insolence

Deuxième enfant d’une famille nombreuse, Vahina montra très vite son indépendance, à la maison, mais aussi à l’école de danse de l’Opéra de Marseille, où son  » insolence  » s’exprima fortement.  » Je ne disais jamais un mot de trop, se souvient- elle, mais je soutenais le regard des adultes, je ne baissais pas les yeux et ce qu’ils y voyaient les déstabilisait. J’en ai reçu, des gifles, mais sans baisser les yeux…  » Ces yeux-là surent capter l’attention d’une directrice de casting, alors que la jeune fille de 14 ans était à la plage. Ainsi  » découverte  » par hasard, elle obtint le rôle féminin principal de Marie Baie des Anges, le film de Manuel Pradal.  » J’avais accepté non par intérêt pour le cinéma ou le métier d’actrice, mais parce que le cachet me permettrait de rembourser à mes parents une partie de ce que leur coûtait la danse. Mais, quand je suis retournée à l’Opéra, on m’a refusée, car j’avais été trop longtemps absente. D’autres propositions de films arrivant, j’ai poursuivi dans cette voie, en y trouvant un plaisir auquel je ne m’étais pas attendue au départ.  »

Pas de scandale, de Jacquot, Le Libertin, d’Aghion , Blueberry, de Kounen, ont ainsi et notamment précédé Lila dit ça, film où la brune Vahina s’est teinte en blonde.  » Le corps est un élément majeur du jeu devant la caméra, commente la comédienne, il exprime énormément de choses qui restent inaccessibles aux mots. J’ai une relation ludique avec cette réalité physique du travail d’actrice, je ne vais pas m’inventer des inhibitions que je n’ai pas !  » Déjà mère d’un enfant de 3 ans ( » fait par amour, pas par hasard « ), Giocante a un rapport très équilibré avec un métier où elle brille déjà, et dans lequel un avenir passionnant peut lui être réservé… pour peu que l’alliage beauté/intelligence/ franchise qu’elle incarne sans ciller et qui continue encore aujourd’hui à effrayer certains hommes, cinéastes y compris, ne vienne paradoxalement freiner une trajectoire promise aux plus beaux lendemains…

Louis Danvers

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