Liberté surveillée en Europe

Secoués par la montée d’un radicalisme minoritaire mais actif, les pays européens réagissent aux propos et comportements contraires à l’ordre public

Après les attentats de Londres (juillet 2005, 56 morts), le Premier ministre Tony Blair a déclaré que  » les règles avaient changé « . De fait, Londres n’est plus le  » Londonistan  » des années 1990, qui aimantait les  » djihadistes  » de retour d’Afghanistan. Ceux-ci étaient sûrs d’y trouver des financements et une totale liberté d’expression contre la promesse implicite de ne pas y commettre de violences. Un  » deal  » assez semblable avait été passé jadis entre certaines autorités belges et un représentant du Groupe islamique armé algérien en Belgique.

E La Grande-Bretagne a donc réagi. Le 9 janvier dernier a débuté, devant la cour londonienne d’Old Bailey, le procès de Abou Hamza al-Masri, surnommé  » Capitaine Crochet  » par la presse tabloïd. Le prédicateur manchot de la mosquée salafiste de Finsbury Park, qui exhortait les musulmans britanniques à ne pas vivre à l’occidentale, est poursuivi sous 15 chefs d’accusation, dont l’incitation au meurtre de juifs et de non-musulmans, ainsi qu’à la haine raciale, via des enregistrements vidéo et audio. Il lui est également reproché d’avoir été en possession d’un document, L’Encyclopédie de la guerre sainte afghane,  » de nature à être utile à une personne commettant ou préparant un acte terroriste « . Démis de ses fonctions par sa mosquée, en 2003, il avait poursuivi ses harangues dans la rue jusqu’à son arrestation, en mai 2004, dans le cadre d’une demande d’extradition des Etats-Unis pour faits présumés de terrorisme. Une procédure de déchéance de sa nationalité britannique – il est égyptien d’origine – a été engagée par le ministre de l’Intérieur.

Une autre figure marquante du  » Londonistan « , Omar Bakri, porte-parole de la branche anglaise du Parti de la libération islamique (Hezb Tahir Al Islami), interdit depuis quelques mois, a été interpellé au Liban, en août 2005. Le Syrien avait profondément choqué les Britanniques en faisant l’éloge des  » 19 magnifiques « , les auteurs des attentats du 11-Septembre. Le 23 décembre 2005, la télévision britannique Channel Four diffusait une vidéo destinée à ses fidèles dans laquelle Bakri annonçait, trois mois avant le drame, les attentats de Londres. Il est désormais interdit de séjour au Royaume-Uni. Abou Qatada, tête de pont des  » djihadistes  » d’Al-Qaeda en Grande-Bretagne, a, lui, été arrêté le 11 août 2005. Nul doute que les procédures judiciaires en cours contre des radicaux musulmans seront âprement disputées, car les Britanniques portent la défense des droits civils dans leurs gènes. La Chambre des lords a déjà fait reculer le gouvernement Blair sur sa législation relative à la détention illimitée de suspects, adoptée dans la foulée de l’après-11-Septembre.

E Confrontée de longue date au terrorisme islamique, corse et basque, la France, mais aussi l’Espagne, à cause des séparatistes basques de l’ETA, disposent de législations réprimant sévèrement l’apologie du terrorisme (jusqu’à cinq ans de prison en France). Néanmoins, l’Etat est relativement démuni lorsque des prêcheurs se livrent à des assauts d’obscurantisme, sans franchir la ligne rouge du terrorisme ou de la propagande terroriste. Au terme d’un long feuilleton politico-judiciaire, Abdelkader Bouziane, l’imam salafiste de Vénissieux qui avait affirmé que  » le Coran autorisait dans certains cas un musulman à battre sa femme « , a été condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour  » apologie de crime et provocation directe, non suivie d’effets, à porter atteinte à l’intégrité d’une personne « . Son expulsion, effective, vers l’Algérie est toujours contestée devant la Cour de cassation. Sous Nicolas Sarkozy, ministre français de l’Intérieur, 35 imams extrémistes ont été priés discrètement de quitter le territoire national.

L’expulsion est l’un des moyens dont disposent les démocraties pour se défendre contre les  » prêcheurs de haine  » de nationalité étrangère. Mais c’est une arme à double tranchant car elle risque de priver l’Etat du soutien de la majorité paisible des musulmans. Dans certains cas, elle ne fait que reporter le problème sur un pays voisin. L’autre souci des dirigeants occidentaux est de s’assurer que les extrémistes expulsés ne seront pas maltraités dans leur pays d’origine, en signant des accords avec ceux-ci.

Les médias et Internet sont un enjeu important de la bataille idéologique qui s’organise, plus ou moins discrètement, dans tous les pays européens. En décembre 2004, l’opérateur de satellite Eutelsat a été prié par le gouvernement français de cesser la diffusion d’Al Manar, la chaîne du parti chiite libanais Hezbollah. Celle-ci avait notamment programmé des émissions antisémites inspirées des Protocoles des sages de Sion. Pendant un an, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a tenté d’obtenir que la chaîne modère d’elle-même son antisionisme radical. Sans succès.

E Sous la poigne de Rita Verdonk, ancienne directrice de la Sécurité de l’Etat dans le service de renseignement néerlandais AIVD, devenue ministre de la Politique des étrangers et de l’Immigration dans le gouvernement Balkenende (chrétien-libéral), les Pays-Bas se sont dotés de la politique d’immigration et d’asile la plus restrictive d’Europe. L’assassinat de Theo Van Gogh, au nom de la défense de l’islam, par Mohammed Bouyeri, a renforcé l’appui dont elle bénéficie dans une partie de l’opinion publique néerlandaise. Rita Verdonk n’a pas obtenu du Conseil des oulémas batave qu’il signe une convention de lutte contre l’extrémisme. Seuls quelques imams y ont adhéré. En guise de lutte contre le radicalisme, elle plaide pour que les migrants apprennent la langue des pays européens où ils s’installent et en acceptent entièrement les valeurs,  » mais sans stigmatiser certains groupes « , précise-t-elle. Elle s’est cependant rendue au Maroc pour que ce pays lève la nationalité marocaine de ses ressortissants installés depuis trois générations aux Pays-Bas. En décembre 2005, le Parlement néerlandais a demandé au gouvernement qu’il interdise, pour des raisons de sécurité, le port de la burqa en public.

E En Allemagne, où ont vécu trois des kamikazes du 11-Septembre, le rapport 2004 sur la Protection de la Constitution a estimé à 32 000 le nombre de résidents membres de 24 organisations musulmanes à tendance extrémiste. Trois organisations ont été interdites : L’Etat califal, la Fondation de Charité Al-Aqsa (qui collecte des fonds pour le Hamas) et le Parti de la libération islamique (PLI). En dehors des groupes visés directement par une action judiciaire, plusieurs centaines de suspects ont été placés sous surveillance. Comme aux Pays-Bas, l’attention se porte sur l’instrumentalisation du droit d’asile ou du mariage avec des citoyens allemands. Mais les Allemands qui, en 2000, ont abandonné le  » droit du sang  » comme condition d’accès à la nationalité allemande, sont prêts à consentir encore beaucoup d’efforts, si la situation budgétaire le permet, pour améliorer l’intégration des musulmans, qui sont nécessaires au redressement démographique du pays.

E Après les attentats du 11 mars 2004 (192 morts, 1 800 blessés), l’Espagne n’a pas cédé à la peur puisqu’elle a régularisé les 700 000 clandestins dont son économie avait besoin. Les musulmans n’ont pas été montrés du doigt par la population et la police s’est comportée normalement envers eux. Le gouvernement Zapatero (socialiste) a concentré son attention sur le phénomène des  » mosquées-garages « , où opèrent des imams sans qualifications professionnelles et dont certains donnent une version intolérante de l’islam. Bien que 90 % des musulmans espagnols soient d’origine marocaine, ils sont accueillis dans des lieux de prière financés par la Libye et, surtout, l’Arabie saoudite. Les Espagnols préfèrent agir sur l’intégration des musulmans en général plutôt que de s’en prendre à une petite minorité d’entre eux. Le gouvernement est cependant décidé à utiliser la loi sur les étrangers pour expulser des résidents soupçonnés de terrorisme contre lesquels des charges suffisantes ne pourraient être retenues devant les tribunaux.

E *En Belgique, le Comité ministériel du renseignement et de la sécurité, dont font partie le Premier ministre, les ministres de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense et de la Mobilité, ont adopté, le 25 mars 2005, un plan d’action contre le radicalisme, qui sera exécuté sous la direction du parquet fédéral. Ce plan vise non seulement l’extrémisme musulman mais aussi l’expression de toutes les idées fondamentalistes, racistes, anarchistes et extrémistes. Un inventaire des instruments juridiques et opérationnels susceptibles de les contrer a été dressé. Des mesures administratives ont déjà été prises. l

M.-C.R.

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