L’honneur de Rania

Victime de violences conjugales, cette vedette de la télé a fait publier les photos de son visage tuméfié. Et a marqué un point pour l’émancipation des femmes arabes

Depuis six ans, chaque matin, Rania al-Baz présentait une émission sur la première chaîne de la télévision saoudienne. Son apparition sur les petits écrans avait déjà constitué un événement. La jeune femme avait même quelque peu réconcilié les Saoudiens avec leur télévision nationale. Le mois dernier, sauvagement frappée par son mari û 13 fractures au total û elle a obtenu du quotidien saoudien en langue anglaise Arab News qu’il publie les photos de son visage tuméfié. Son histoire de femme battue a fait le tour de l’Arabie saoudite, suscitant un mélange de révolte, d’émoi et de honte. Jamais auparavant cette réalité-là n’avait ainsi été évoquée dans la presse.

La présentatrice, qui espérait ainsi inciter ses compatriotes à réagir contre les mauvais traitements infligés aux femmes, a largement gagné son pari. Une quinzaine de jours après la publication des photos, l’affaire alimente encore toutes les conversations. Et en premier lieu, bien sûr, celles des femmes. Certaines, les plus conservatrices, désapprouvent. Elles trouvent que Rania n’aurait pas dû étaler son histoire au grand jour. Mais pour d’autres, les plus jeunes et les plus nombreuses, la présentatrice de télévision fait aujourd’hui figure d’héroïne.

La jeune femme, par son geste, a aussi obligé le régime à prendre position, même indirectement. L’époux, en fuite, a été inculpé de tentative de meurtre. La toute nouvelle Commission des droits de l’homme, un organisme nommé par les autorités, a envoyé une délégation voir Rania à l’hôpital pour lui promettre que justice serait faite. La princesse Sarah al-Anqari, épouse du gouverneur de La Mecque, le prince Abdul Majid û par ailleurs fondateur de l’université féminine Dar el-Hekma û et belle-s£ur du prince héritier, a décidé de prendre à sa charge les frais d’hospitalisation de la présentatrice. Elle s’est aussi engagée à obtenir sa réintégration à la télévision lorsqu’elle sera rétablie.

L’attitude des autorités s’explique sans doute en partie par des pressions extérieures û les Américains plaident avec force pour la mise en £uvre de réformes, notamment en faveur des femmes. Mais il ne faut pas sous-estimer l’existence, dans le pays, d’un courant en faveur de l’émancipation des femmes, qui sait de mieux en mieux se faire entendre, même s’il n’est pas structuré. Les Saoudiennes ne réclament pas seulement, aujourd’hui, le droit de pouvoir conduire. Alors que la pauvreté et le chômage s’accroissent, elles revendiquent, de plus en plus fort, celui de travailler. Une aspiration qui traduit surtout leur désir d’avoir une autonomie financière afin d’être à l’abri du besoin en cas de répudiation ou de pouvoir quitter un mari polygame.  » Je veux faire carrière, c’est indispensable pour être indépendante « , affirme Sultana, qui vient d’obtenir son diplôme d’architecte d’intérieur et son premier job. Et d’ajouter :  » Le mariage, ce n’est pas pour demainà  »

Scarlett Haddad, à Riyad

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