L’homme qui avait vu

Témoin de la Shoah, le résistant polonais

Jan Karski alerta en vain les Alliés : deux récits

lui sont consacrés, hélas imparfaits.

Qui connaît Jan Karski ? A part les spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, il faut bien l’avouer, pas grand monde. Ce résistant polonais, figure tragique de l’Histoire, a été surnommé  » l’homme qui a tenté d’arrêter l’Holocauste « . Son destin, ressuscité par la plume du jeune écrivain français Yannick Haenel, est fascinant.

Mobilisé dans la cavalerie polonaise à la déclaration de guerre, Karski va traverser en quelques mois toutes les horreurs du xxe siècle. Interné dans un camp soviétique en Ukraine, il parvient à s’échapper. Mais c’est pour se faire arrêter et torturer un peu plus tard par la Gestapo. Là encore, il s’évade miraculeusement, en barque, caché dans un tonneau.

C’est ici que son destin va basculer. En 1942, il est conduit clandestinement par deux dignitaires juifs dans le ghetto de Varsovie. Là, halluciné, il découvre les cadavres jetés à même le sol et les bébés aux yeux fous. Plus étonnant encore, il s’introduit dans un camp de concentration, près de Belzec, et assiste au départ d’un train vers les camps de la mort. Il est l’homme qui a vu.

Le sort des Juifs ? Après les objectifs militaires alliés

Dès lors, Jan Karski n’aura plus qu’une obsession : témoigner auprès des Alliés pour arrêter l’extermination des Juifs. Il parvient à rejoindre Londres, puis Washington. Rencontre les écrivains H. G. Wells et Arthur Koestler, le ministre britannique Anthony Eden, et obtient même une entrevue avec le président américain, F. D. Roosevelt, à la Maison-Blanche. Mais, chaque fois, ce témoin des témoins sent qu’on peine à le croire. Que le sort des Juifs passe après les objectifs militaires des Alliés. Bref, qu’il ne parviendra pas à arrêter l’Holocauste.

Reconnaissons à Yannick Haenel le mérite de rendre à nouveau vivant cet homme exceptionnel disparu en 2000. Même si cela n’est jamais dit, on devine qu’agacé par le raz-de-marée des Bienveillantes, il y a trois ans, l’écrivain a voulu opposer à la figure du mal absolu brossée par Jonathan Littell celle d’un juste admirable. Mais pourquoi avoir noyé cet hommage dans une construction formelle alambiquée, mêlant exégèse bavarde du film Shoah de Claude Lanzmann (dans lequel Karski apparaissait), biographie classique et construction romanesque ?

 » L’homme qui a tenté d’arrêter l’Holocauste  » inspire décidément les romanciers. Karski est en effet aussi l’un des héros des Sentinelles, vaste roman historique signé Bruno Tessarech, où l’on croise également de Gaulle, Hitler et Wernher von Braun. Mais sans jamais vraiment emporter le lecteur. Comme si Jan Karski et ses révélations insoutenables n’étaient pas solubles dans la fiction.

Jan Karski, par Yannick Haenel. Gallimard, 188 p. Les Sentinelles, par Bruno Tessarech. Grasset, 378 p.

Jérôme Dupuis

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