L’histoire du rock en DVD

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Une prestigieuse série anglaise revi- site quelques Classic Albums, comme Never Mind the Bollocks, des Sex Pistols, Transformer, de Lou Reed, ou Rumours, de Fleet- wood Mac. Un délice

Hormis les titres présentés dans cet article, la série Classic Albums comprend également des DVD de Def Leppard, Iron Maiden, Grateful Dead, Steely Dan, Meat Loaf, Metallica, Stevie Wonder, Phil Collins, Pink Floyd et Elton John. En anglais, sous-titres français. Chez Eagle/Pias.

Evidemment, des images resteront : Lou Reed souriant comme jamais en parlant des chansons ironiques de Transformer, Garth Hudson, du Band, cassé sur ses claviers en jouant des airs du diable, Keith Richards, hilare à l’évocation du Presley des années 1950. Ou, encore, Lindsey Buckingham, de Fleetwood Mac, expliquant posément comment l’enregistrement de Rumours correspondait à l’éclatement des deux couples du groupe qui, pour cause de disque à boucler, étaient forcés de se côtoyer toute la journée en studio… Réalisée pour le marché international de la télévision, avant de sortir en DVD, la série Classic Albums compte une vingtaine de références de disques qui ont marqué sans aucun doute l’histoire du rock, à côté de deux, trois choix plus contestables, celui, par exemple, des horribles metal-freaks anglais de Judas Priest. On n’y déniche pas non plus de Stones ou de Beatles, institutions musicales préférant certainement privilégier leur propre marketing audiovisuel. L’objectif du projet, ambitieux – notamment diffusé à la BBC -, consiste à retourner sur les traces d’une vingtaine d’albums et de les désosser, en quelque sorte, en compagnie de leurs géniteurs, les musiciens bien sûr, mais aussi les ingénieurs du son, producteurs et managers divers. Le centre du dispositif, commun à toutes les histoires, est la table de mixage du studio, le c£ur du disque, la batterie énergétique de ses émotions. Les réalisateurs des différents documentaires ont mis la main sur les bandes originales, c’est-à-dire non encore mixées, de façon que l’on puisse écouter séparément les pistes – une guitare, une voix, des cordes, une batterie – qui, mises ensemble, formeront la chanson finale. La complexité de l’entreprise surprend et, sans jamais être encyclopédique ou trop technique, elle montre comment survient l’état de grâce d’un album. Il faut entendre les roulements insensés de Keith Moon sur Who’s Next, daté de 1972 : ce n’est plus un batteur, mais un possédé du rythme, qui construit, avec la basse bouffeuse de John Entwistle, la colonne vertébrale du son des Who, un grondement nourri au blues qui pulvérise ses décibels sur les ados des années 1960- 1970. Grâce aux archives de l’époque, on retrouve Pete Townshend et ses synthétiseurs première génération qui, ne pouvant être rejoués en scène, sont copiés sur une bande au rendu aléatoire. Lorsque la bande casse ou dérape en concert, c’est tout le groupe qui vacille. D’autres images des Who en live permettent de sortir de la claustrophobie du studio et éloignent le spectre du didactisme, travers habilement évité par la série.

Le rock est aussi une cérémonie de la mémoire : c’est ce que raconte le DVD consacré à The Band et leur second et éponyme album, paru en 1969. Dans ce documentaire de septante-cinq minutes, les accompagnateurs de Dylan expliquent leur émancipation musicale et le lien profond qui les unit aux musiques ancestrales des Etats-Unis – même si quatre d’entre eux sont canadiens. Comment écrire des chansons aussi signifiantes que The Night They Drove Old Dixie Down en puisant dans l’americana, ces musiques blanches ou noires, d’apparence traditionnelle, mais souvent produites par le vent de la pauvreté ? L’histoire du Band pourrait d’ailleurs fonctionner comme l’ultime métaphore du rêve rock : les galères intenses des premiers temps, la rencontre avec le catalyseur Dylan, le succès des disques sortis sous leur nom, puis la séparation précoce et la chute définitive – un suicide (Richard Manuel) et une crise cardiaque prématurée (Rick Danko, deux ans après le tournage) – pour une seule échappée solo à succès (Robbie Robertson). Même si le groupe semble loin de nous aujourd’hui, The Band raconte une époque et une épopée fascinantes. Rumours, de Fleetwood Mac, pour l’interpénétration défoliante des relations personnelles et musicales des cinq membres du groupe pendant les sessions, est un autre grand moment de la série. Tout comme Never Mind the Bollocks, des Sex Pistols, qui, outre ses formidables archives restituant l’impact socioculturel du punk de ces années-là, est largement bâti sur l’opposition constante entre Malcom McLaren (manager manipulateur) et John  » Rotten  » Lydon, chanteur fondu mais clairvoyant. Du pur Shake- speare pour l’intensité ennemie des personnages.

Pour les DVD de disparus, les auteurs n’ont eu d’autre choix que de rassembler le plus grand nombre de témoins de l’époque. Elvis Presley, qui documente le premier disque du King pour RCA en 1956, et Electric Ladyland, qui capte le Jimi Hendrix Experience à son sommet créatif en 1968, sont deux beaux cas de reconstitution enthousiasmante. Le film sur Elvis, en particulier, rappelle, une nouvelle fois, combien l’impact du gamin timide du Mississippi sur la culture mondiale a été essentiel. Et comment le type qui l’avait engagé chez la vénérable maison RCA devait faire face aux sarcasmes de ses collègues qui, eux, n’auraient pas misé un cent sur le futur milliardaire du disque.

Les chargés de son

La qualité essentielle des Classic Albums est, à chaque fois, de raconter une histoire qui dépasse les chansons. On parvient donc à s’intéresser au Machine Head, de Deep Purple, ou à The Josua Tree, de U2, même si ce n’est pas forcément notre tasse de rock. Quoique, dans le U2, il y ait le binôme de producteurs Brian Eno et Daniel Lanois, qui, en présence ou non de Bono, avec ou sans images d’époque (1986- 1987), fait parfaitement comprendre l’importance suprême de travailler avec des gens qui ont une vision véritable du rock. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de cette entreprise globale de démystification de contribuer à propager l’insondable mystère de la musique…l

Philippe Cornet

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