Boris Charmatz est né en 1973, comme le Tanztheater Wuppertal. Ce n'est pas leur seul point commun. © Duncan Elliott

L’héritage de Pina Bausch

A l’occasion du passage à Charleroi de l’iconique Kontakthof de Pina Bausch, rencontre avec Boris Charmatz, nommé pour reprendre la tête du Tanztheater Wuppertal. Le chorégraphe français entend bien faire entrer la compagnie dans le XXIe siècle.

Presque trois ans après le mémorable Nelken, le PBA de Charleroi accueille une autre pièce phare du répertoire de Pina Bausch: Kontakthof (1). S’y confrontent au sein d’une salle de bal à l’ambiance rétro des femmes et des hommes en quête d’affection et de reconnaissance, entre tendresse et violence. Le titre, littéralement « cour de contact », renvoie au lieu où se rencontrent les prostituées et leurs clients. Avec la question sous-jacente du corps comme outil de travail, qui concerne aussi la profession de danseur.

Il faut inventer un nouvel écosystème pour la compagnie et je leur ai dit que le changement serait violent.

Dans la carrière de Pina Bausch, Kontakthof, créée en 1978, occupe une place particulière: c’est la seule pièce à avoir été transmise, du vivant de la chorégraphe allemande, à des groupes extérieurs à la compagnie, d’une part des « dames et messieurs de plus de 65 ans », en 2000, et d’autre part des adolescents de plus de 14 ans qui n’avaient jamais dansé, en 2008. Pina Bausch décédera quelques mois après la création de cette troisième mouture, le 30 juin 2009.

Proximité

A quel point un danseur insuffle-t-il sa personnalité à une pièce? Comment une oeuvre dansée peut-elle traverser l’histoire? Jusqu’où peut-on changer une pièce sans trahir son essence? Autant de questions que soulevaient ces trois versions de Kontakthof et auxquelles le Tanztheater Wuppertal s’est retrouvé brutalement confronté après la disparition de sa fondatrice. Depuis 2009, plusieurs personnalités se sont succédé pour gérer l’héritage artistique de Pina Bausch. Mais en août 2022, c’est pour la première fois un chorégraphe, au profil plutôt iconoclaste, qui reprendra la direction et qui annonce un fameux virage pour les huit prochaines années: Boris Charmatz.

Il est né en 1973, comme le Tanztheater Wuppertal. Outre cette troublante coïncidence, ses liens de proximité avec la compagnie sont multiples. « Ma famille est très liée à la culture allemande et très marquée par la Seconde Guerre mondiale, raconte Boris Charmatz. Mon père, d’origine juive et dont les parents étaient de langue allemande, a été caché pendant la guerre en Suisse. Du côté de ma mère, franco-française et pas du tout juive, mon grand-père a été déporté pour faits de résistance. Ma mère est devenue professeure d’allemand. Nous allions souvent en vacances en Allemagne l’été, notamment à Berlin quand il y avait encore le mur. J’y ai vu des choses incroyables. Pina Bausch faisait partie de ce paysage de la modernité. Par ailleurs, j’ai travaillé avec Raimund Hoghe, qui a été dramaturge pour Pina Bausch et qui est né à Wuppertal, et je travaille encore beaucoup aujourd’hui avec Raphaëlle Delaunay, qui a été membre de la compagnie. »

Dans la Kontakhof, lieu où se rencontrent prostituées et clients, femmes et hommes sont en quête d'affection et de reconnaissance.
Dans la Kontakhof, lieu où se rencontrent prostituées et clients, femmes et hommes sont en quête d’affection et de reconnaissance.© Reiner Pfisterer

Courants d’air

Boris Charmatz n’a pas postulé la fonction. C’est le Tanztheater qui est venu le chercher. « De toute façon, personne ne postulerait, surtout pas un artiste, parce que c’est presque impossible de reprendre cette direction, précise-t-il. J’ai passé beaucoup de temps à dire non avant de dire oui. »

Boris Charmatz est sans doute l’artiste idéal pour cette succession grâce à la réflexion qu’il mène sur la question du répertoire, sur la persistance dans le temps et la conservation de cet art éphémère qu’est la danse. Dès sa première création, à l’issue de sa formation à l’école de l’Opéra national de Paris et au Conservatoire national supérieur de Lyon: A bras-le-corps, en 1993. « J’avais 19 ans et mon partenaire chorégraphe Dimitri Chamblas en avait 17. On a fait cette pièce en se disant qu’on la danserait jusqu’à la fin de notre vie, peut-être une fois par an ou même une fois tous les cinq ans, mais on vieillirait dedans. » En 2009, quand il prend la direction du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, il le transforme en musée de la Danse. Un geste fort, qui induit une tout autre perspective.

Pour le Tanztheater Wuppertal, c’est une révolution qu’il envisage. « La compagnie a créé les grands chefs-d’oeuvre du XXe siècle mais nous sommes au XXIe siècle, note-t-il. Depuis la disparition de Pina, il y a eu l’arrivée en Allemagne d’un parti d’extrême droite, le Brexit, la crise migratoire, la conscience accrue de la crise climatique, sans parler du Covid, de la crise ukrainienne, de MeToo… Il faut inventer un nouvel écosystème pour la compagnie et je leur ai dit que le changement serait violent. » Pièce pour stade avec mille danseurs, ancrage dans un paysage transnational qui embrasse toute la faille du charbon, de Manchester à la Ruhr en passant par Lens, Charleroi et Valenciennes – « c’est une histoire du charbon, de l’acier, du textile, de la crise, de la transition énergétique nécessaire » -, connexions sous forme d’ « affinités électives sauvages » avec d’autres artistes d’hier et d’aujourd’hui… Les idées bouillonnent. « Le studio principal de Pina, c’est un ancien cinéma, très fermé, un cocon artistique. Symboliquement, je veux ouvrir des fenêtres, ouvrir des portes, faire des courants d’air, des tempêtes de gestes. On va sortir, en emmenant l’oeuvre de Pina Bausch. »

(1) Kontakthof, au Palais des beaux-arts de Charleroi, du 10 au 12 mars.

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