L’existence des cafés menacée

Chacun peut le constater : peu à peu, les cafés disparaissent, en ville comme à la campagne. Timidement, les politiques commencent à réagir. Décryptage.

La disparition s’accélère-t-elle ?

 » Si cela continue comme ça, dans trois ou quatre ans, il n’y aura plus aucun café de village en Wallonie « , s’indignent, en ch£ur, les tenanciers de bistrots. Pareils cris de détresse sont monnaie courante à Quiévrain, Floreffe, Libramont, Berloz, Couvin… La région bruxelloise n’est pas en reste. Le déclin a été amorcé à la fin des années 1960. L’hécatombe n’a pas été brutale, donc. N’empêche, les chiffres sont impressionnants : ces dix dernières années, près de 8 000 enseignes ont disparu (10 % des cafés belges).

Pourquoi les cafés sont-ils en crise ?

Le déclin des cafés s’explique par une multitude de facteurs. Impossible de les citer tous. Mais il est un fait que le mode de vie des Belges a évolué. Pour beaucoup d’entre eux, aller au café ne fait tout simplement plus partie des habitudes. En 2000, 47 % des Belges se rendaient au moins une fois par mois au café ; en 2006, cette proportion n’était plus que de 42 %… Quant à ceux qui continuent d’aller au café, ils boivent moins qu’avant.  » Pendant longtemps, un café pouvait tenir le coup grâce à quelques habitués possédant une bonne descente, indique Yvan Roque, président de la Fédération bruxelloise de l’horeca. Ce modèle économique-là n’est plus rentable. Pour réaliser un chiffre d’affaires qui leur permet de vivre, les cafetiers doivent avoir beaucoup plus de clients. « 

La crise générale des petits commerces n’aide évidemment pas non plus. A Bruxelles, le nombre de boucheries est tombé de 2 155 à 249 en cinquante ans. Une tendance lourde dont pâtissent également les cafés. Ceux-ci doivent en outre faire face à la concurrence grandissante des centres commerciaux : des chaînes comme Ikea ou Décathlon proposent aux clients leur propre buvette…

L’apparition des GSM a également changé la donne. Dans certains ménages, les frais de téléphonie mobile mangent plus d’un tiers du budget ! Du coup, il reste peu d’argent pour aller écluser les mousses au bistrot. Baisse du pouvoir d’achat ? Question de priorités, plutôt.

De nombreux tenanciers pointent aussi du doigt la sévérité des règles de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca). L’obligation de se conformer aux normes d’hygiène implique parfois des investissements de plusieurs milliers d’euros. Chose inimaginable, le plus souvent, pour de minuscules troquets datant de Mathusalem, dont les patrons préfèrent, du coup, mettre la clé sous le paillasson.

Certains cafés sont-ils plus menacés que d’autres ?

Les cafés de campagne subissent de plein fouet la disparition du mode de vie traditionnel. Le village d’Etalle, en Gaume, comptait 29 cafés il y a trente ans : seul subsiste aujourd’hui celui de Jean-Paul Bogen.  » Et encore, je me mis à servir à manger. Sinon, je n’aurais pas tenu le coup, explique-t-il. Quand j’ai commencé, au début des années 1990, une bonne trentaine de clients venaient chez moi tous les dimanches matin, après la messe. Maintenant, à la fin de l’office, les gens sont pressés, ils rentrent directement chez eux. Et, de toute façon, il n’y a presque plus personne qui va à la messe. « 

Les repères de  » buveux d’pintes  » sont également plus exposés à la crise. La consommation de bière pique du nez. En 1980, le Belge consommait, en moyenne, 131 litres de bière par an, contre à peine 92 litres en 2005. Dans la plupart des établissements, les boissons non alcoolisées représentent désormais plus de la moitié des recettes. Les cafetiers qui n’ont pas pris le virage à temps, et qui n’ont pas diversifié leur offre de soft drinks, paient cash leur erreur.

Observe-t-on des différences entre régions ?

Si l’on se penche sur les derniers chiffres disponibles, on constate qu’entre 2003 et 2005 le nombre de bistrots a diminué de 2,8 % en Flandre, de 2,4 % en Wallonie, et de 0,5 % à Bruxelles. Côté francophone, ces chiffres n’alarment pas grand monde, hormis les professionnels du secteur. La crise semble davantage émouvoir l’opinion publique flamande. Depuis des mois, les articles sur le sujet se succèdent dans les gazettes du nord du pays, et une campagne a été lancée, avec pour leitmotiv :  » Sauvez les cafés populaires !  » Précision : un Flamand dépense, en moyenne, 154 euros par an au café, contre 82 euros pour un Bruxellois et 52 euros pour un Wallon. Tout s’explique.

Que font les politiques ?

Refrain connu : le secteur horeca se plaint d’être étranglé par la pression fiscale, et notamment par une TVA qu’il juge démesurée. Face à ces doléances, la Région wallonne s’apprête à supprimer la taxe sur les débits de boissons. Benoît Lutgen, ministre régional (CDH) de l’Agriculture et du Patrimoine, propose une autre piste pour enrayer le déclin : s’inspirant d’une expérience concluante menée dans les Alpes françaises, il veut lancer un label pour les  » bistrots de terroir « . Son idée, qui sera testée cet été, suscite un certain enthousiasme dans le secteur…  » Il faut redonner une image de marque au café traditionnel, estime Jean-Paul Bogen. Pour survivre, les tenanciers doivent jouer la carte du typique, redonner une image de marque. « 

La Région bruxelloise, quant à elle, a déjà octroyé à six cafés le statut de monument protégé (le Falstaff, la Mort Subite, la Brasserie Verschueren…). Selon Emir Kir, secrétaire d’Etat (PS) au Patrimoine, d’autres procédures de classement sont en cours. Si cela n’empêchera pas que des dizaines d’estaminets fermeront dans les prochains mois, au moins, la mémoire des bistrots d’antan sera-t-elle conservée…

François Brabant

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