France Gall et les " Chanteurs sans frontières " au profit des victimes de la famine en Ethiopie, en 1985. © REPORTERS

Lettre à France

France Gall aurait pu rester éternellement une idole yéyé. Mais sa mort, le 7 janvier, à l’âge de 70 ans, montre surtout comment elle fut l’icône des années 1980 et de la génération Mitterrand. La preuve par l’un de ses fans.

Chère France,

En toi, depuis ce dimanche 7 janvier, il y a eu la chanteuse, sur laquelle se sont penchés les exégètes, désireux, pour les uns, de toujours statufier Gainsbourg que tu as sauvé plus qu’il ne t’a sauvée ; pour les autres, d’enfin réhabiliter Michel Berger, éternelle cible de tous ceux qui ricanaient des titres égrenant à l’envi les mots  » chante  » ou  » musique  » sans y voir l’extraordinaire mélodiste. En toi, il y a eu la femme, dont on s’est plu à rappeler les amours (Cloclo, Julien Clerc, Berger), dont on a surligné les drames, la mort de ta  » lumière du jour « , celle de votre fille, les deux cancers qui les ont suivies, la retraite à Ngor.

Mais rien de tout cela ne suffirait à dire pourquoi, un mois après celle de Johnny Hallyday, ta disparition a une nouvelle fois submergé la France de chagrin. Tout simplement parce qu’il y avait autre chose, un symbole passé sous les radars médiatiques parce qu’ancré profondément en ceux qui remplissaient le Zénith ou Forest National des semaines entières. Un chagrin discret parce que, justement, c’était cette discrétion qui te résumait – et ceux qui t’entouraient.

A chaque idole qui disparaît, c’est évidemment une part de jeunesse qui s’envole. Il y a un côté générationnel et, comme d’autres, tu en recouvrais plusieurs. Seulement voilà, ceux qui t’ont aimée Lolita yéyé des sixties n’ont sans doute pas connu le même effondrement que ceux qui t’ont aimée groupie d’un pianiste dans les années 1980. Car, entre 1968 et 1986, on n’a pas juste inversé deux chiffres sur un calendrier. Longtemps, les tenants de Mai 68 ont entretenu le fantasme d’une révolution sous les pavés. Longtemps, ils ont méprisé tous ceux qui les avaient suivis, incapables à leurs yeux de se mobiliser contre l’oppression bourgeoise. Pourtant, lorsqu’ils se sont retrouvés le 10 mai 1981, place de la Bastille, même François Mitterrand avait troqué Le Coup d’Etat permanent pour La Force tranquille.

Avec Serge Gainsbourg, en 1965.
Avec Serge Gainsbourg, en 1965.© BELGAIMAGE

Car, au fond, ce que nous pleurons, ce n’est pas juste notre chanteuse préférée, c’est cette bande qui,  » loin des beaux discours, des grandes théories « ,  » changeait la vie  » (Goldman). En donnant à manger aux pauvres via les Restos du coeur, en profitant du Dakar pour poser des puits en Afrique, en copiant le Live Aid pour faire Ethiopie, en chantant Je rêvais d’un autre monde pour SOS Racisme.Au vrai, après Coluche, Balavoine, Berger, ce qui s’évapore une nouvelle fois, c’est une petite musique qui, de Résiste à Evidemment en passant par Débranche, disait juste :  » Je te promets pas le grand soir mais juste à manger et à boire «  (Goldman/Coluche). Pas de batailles de rue, pas de guérilla, pas de soutien aux grévistes ou aux terroristes.  » Ils ne pensaient pas qu’une chanson changerait le monde, ils espéraient juste l’améliorer « , aime rappeler Bertrand Dicale, l’auteur du Dictionnaire amoureux de la chanson française. En l’améliorant un tout petit peu, ils nous ont améliorés nous.

En concert à Bercy.
En concert à Bercy.© PASCAL J LE SEGRETAIN/GETTY IMAGES

France, il était une fois toi et nous, n’oublie jamais ça. Depuis que nous sommes loin de toi, nous sommes comme loin de nous.

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