Les voyageurs attendent

Les bruits de bottes effraient les touristes : les réservations s’effondrent. Les Belges partiront mais plus tard, ailleurs et sans doute moins longtemps

On attend de voir comment ça va tourner. C’est quand même une région proche du champ de bataille !  » Jean et Irène, pensionnés, reconnaissent que les vacances prévues en Turquie attendront l’année prochaine. Cette saison, ils partiront en France. De nombreux visiteurs du Salon des vacances 2003, qui s’est tenu à Bruxelles du 13 au 17 mars, ont manifestement tenu le même raisonnement. La partie du palais 5 consacrée au Moyen-Orient n’a pas toujours attiré les foules. Si les tour-opérateurs constatent peu d’annulations, probablement en raison des frais liés à cette opération, ils reconnaissent que le nombre de réservations s’effondre depuis début mars.

 » Les gens ne prennent pas de risques. Ils ont peur d’être bloqués loin de chez eux en cas de conflit « , explique Khaled Eleshe, collaborateur chez 7Plus, tour-opérateur spécialiste du Proche-Orient. Les professionnels du voyage parlent de  » peurs irraisonnées  » largement entretenues par les médias. La Turquie, destination  » risquée  » selon certains quotidiens, en est la première victime : les réservations étaient en augmentation de 11 % par rapport à l’an dernier. Mais, depuis la mi-février, c’est la chute libre. Les infrastructures touristiques turques sont pourtant à plus de 1 000 km de la frontière irakienne. Selon Chantal Lapchin, responsable de VIP Travel,  » seuls les touristes ont peur, parce qu’ils voyagent comme des valises. Les voyageurs eux, se renseignent, se préparent et mesurent le risque encouru ; c’est là que les agences de voyages interviennent : elles peuvent avoir une influence sur la mentalité et l’ouverture d’esprit de leur clientèle « . Samy-anna Saba, travel consultant chez TUI Belgium, confirme :  » La question la plus souvent posée en ce moment est : » Y a- t-il des musulmans dans ce pays ? » Nous tentons d’expliquer, d’argumenter, de donner les bonnes informations, mais la peur est là. Et pourtant les Belges sont les touristes européens les plus appréciés dans ces contrées.  »

Craintif et fauché

L’incertitude est également d’ordre économique. Le Belge craint l’impact d’un conflit sur des finances déjà mises à mal par une conjoncture difficile. Il retarde son départ, observe ce qui se passe pour lui et autour de lui, quitte à partir une deuxième fois dans l’année s’il lui reste de l’argent. En période de récession économique, les ménages sont censés se concentrer sur les biens de première nécessité, mais le tourisme n’en fait pas forcément les frais : il ne respecte plus les lois de la consommation. De plus en plus fréquemment, c’est le facteur émotionnel qui motive un départ. Le ras-le-bol, la fatigue, le stress, le besoin de dépaysement sont autant de raisons de ne pas être raisonnable. C’est ce glissement des besoins du consommateur qui fait du tourisme une activité résistante malgré les crises.

Une conjoncture défavorable sur le plan économique ou géopolitique est source de dilemme pour le vacancier : il veut partir mais hésite. Plusieurs décisions en découlent : vacances plus courtes, changement de destination ou voyage différé dans le temps.

 » Nous sommes obligés de proposer des voyages plus courts et moins chers afin d’augmenter le nombre de nos clients, constate Khaled Eleshe. Le problème, c’est que les gens qui ont du temps n’ont pas les moyens, tandis que ceux qui ont les moyens ont peu de temps.  »

Un crash suivi d’un boom

En cas d’actes terroristes ou de guerre, les vacanciers craintifs et pressés de partir se tournent vers d’autres destinations. Une crise au Moyen-Orient entraîne une recrudescence des départs vers l’Europe, les Caraïbes, l’Asie et certains pays africains tels que le Sénégal ou l’Afrique du Sud. On assiste également à une diminution des vacances en avion au profit de la voiture et à l’émergence de nouvelles destinations à succès telles que la Croatie et la Bulgarie. Il est donc vital pour les tour-opérateurs de diversifier leurs destinations, sous peine de se retrouver au chômage technique en cas de crise grave dans la région du monde dont ils sont les spécialistes.

Autre phénomène observé : les réservations à partir du mois d’août semblent reprendre.  » Les gens pensent que la guerre aura lieu, mais ils sont persuadés qu’elle sera courte « , assure Khaled Eleshe. Les crises ont été nombreuses ces dernières années : la guerre du Golfe (1991), les attentats de Louxor en Egypte (1997) et ceux du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Le secteur du tourisme a démontré sa capacité à surmonter les chocs successifs. Comme les touristes repoussent souvent la date de leur voyage sans y renoncer, les grandes crises sont généralement suivies d’une période très favorable.  » Un crash suivi d’un boom « , résume Khaled Eleshe. Les statistiques de l’Office mondial du tourisme le confirment : le nombre de touristes internationaux n’a progressé que de 1,2 % en 1991 en raison de la guerre du Golfe, mais, l’année suivante, il augmentait de 8,2 %. Ils étaient 1,9 million de touristes européens à voyager en Egypte en 1997 et 3,2 millions en 1999. Le tourisme international a progressé de 3,1 % en 2002, malgré les attentats du 11 septembre 2001 et la crise économique.

La saison d’été 2003 s’annonçait donc bien. Les chiffres de janvier, communiqués par le WES (West-Vlaams economish studiebureau) enregistraient une augmentation de 24,2 % des départs en avion par rapport à l’an dernier. Les réservations étaient supérieures (+18,1 %) pour la même période. Mais les professionnels restent prudents, voire inquiets : les chiffres pour mars, non encore publiés, pourraient s’avérer sombres. A Berlin, où le Salon international du tourisme vient de fermer ses portes, le secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme soulignait que  » les réservations se sont effondrées, surtout dans les dix derniers jours « . En cas de guerre, le secteur se déclare prêt : les compagnies aériennes ont prévu des itinéraires de secours ; les voyagistes, des plans d’évacuation d’urgence et une certaine flexibilité dans les réservations. Mais le tourisme et la guerre ne font jamais bon ménage. Si le conflit est inévitable, tous espèrent qu’il sera limité dans le temps et dans l’espace.

Nathalie Rucquoy

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