Les tricheurs ont refait un Tour

Boris Thiolay Journaliste

Floyd Landis, le vainqueur de la Grande Boucle 2006, soupçonné de dopage à la testostérone : le plus grand scandale de l’histoire du cyclisme sème le doute sur tout le sport professionnel

Un raid solitaire de 130 kilomètres dans les Alpes devant un peloton réduit à faire de la figuration. Une étape comprenant cinq cols, engloutie à 37,175 kilomètres-heure de moyenne – une allure qui ferait tousser un bon cyclomoteur. Une dernière ascension, dans le col de Joux-Plane (11,7 kilomètres à 8,7 %), effectuée, la plupart du temps, avec une seule main sur le guidon, l’autre lui servant à s’abreuver ou à s’aspergerà En s’imposant le 20 juillet dernier, à Morzine, Floyd Landis, survolté, franchissait les limites connues de la performance cycliste. Impressionnant pour un coureur qui souffre d’une nécrose osseuse de la hanche et qui va, prochainement, se faire poser une prothèse en plastique. Mieux : une invraisemblable résurrection après la défaillance que le coureur américain, cloué sur sa selle, avait connue la veille, perdant dix minutes au classement généralà  » Une farce, un numéro de cirque « , avaient averti une poignée d’observateurs, dont Antoine Vayer, ancien entraîneur de l’équipe Festina et directeur d’AlternatiV, une cellule de recherche sur la performance.  » A un moment donné, les performances, aberrantes, parlent d’elles-mêmes : elles sont naturellement impossibles « , explique-t-il. Qu’importe. Aussitôt, un concert de louanges montait au firmament.  » L’exploit de Landis ne marquera pas que l’histoire du Tour 2006, mais toute l’histoire du Tour « , déclarait Christian Prudhomme, le nouveau directeur du Tour de France.

Il ne croyait pas si bien dire. Moins d’une semaine après son  » exploit « , trois jours après son triomphe sur les Champs-Elysées, Floyd Landis entrait dans la légende noire du vélo comme étant le premier vainqueur de l’épreuve à être contrôlé positif à une substance dopante, en l’occurrence la testostérone. Certes, tant qu’une contre-expertise n’a pas confirmé le premier résultat (elle n’avait pas encore été dévoilée à l’heure où ces lignes étaient écrites), Landis, l’homme qui  » souffre le martyre « , qui est  » continuellement sous antidouleurs « , comme on dit à la télévision, est présumé innocent. Le problème, c’est que lui-même n’y croit plus. Et l’ancien équipier d’Armstrong se contredit comme un enfant buté. Le matin, il rappelle qu’il sécrète naturellement beaucoup de testostérone. Le midi, il se souvient qu’il a des problèmes de thyroïde. Le soir, il ne sait plus très bien : la veille, il avait pris une cuite au whisky avec ses coéquipiers. Normal, juste avant de disputer, sur 199 kilomètres, l’étape de la dernière chance pour espérer gagner son premier Tourà Ainsi, l’édition 2006 de la plus grande épreuve cycliste du monde, ce fameux  » Tour du renouveau « , n’était donc qu’un nouveau tour de passe-passe ?

Depuis des décennies, le  » milieu  » du cyclisme obéit à une règle d’or : l’omerta. Comme dans la chanson de Guy Béart,  » celui qui dit la vérité doit être exécuté « . Christophe Basson en a fait les frais. Pendant le Tour 1999, le coureur français eut le courage de dire non au dopage. Banni par le peloton, menacé par Lance Armstrong lui-même, Basson fut poussé à l’abandon.  » De nombreux coureurs ont un double discours. Quand ils disent : « Je n’ai pas pris de produits dopants pour améliorer mes performances », cela signifie qu’ils ont peut-être pris des substances non répertoriées ou prétendument destinées à les soigner. Est-il normal qu’un cycliste ait recours à des intraveineuses et prenne sept ou huit médicaments le matin ?  » L’exemple de Basson – qui a raccroché le vélo en 2001 après que deux coureurs français toujours en activité eurent tenté de l’envoyer dans le fossé pendant une course – n’a servi à rien.  » Sanctionner quelques tricheurs est insuffisant, c’est une mentalité globale qu’il faut changer « , dit-il encore. L’ensemble de la caravane semble atteinte de schizophrénie.  » Tout le monde sait, mais chacun refuse de se rendre à l’évidence « , accuse Antoine Vayer. Ça se bouscule sur le podium de l’aveuglement collectif. La presse connaît les m£urs du peloton, mais, dans sa très grande majorité, elle continue de broder la légende des géants de la route. L’encadrement sportif des équipes soutient qu’il ne peut pas tout contrôler. Sans compter un sentiment d’impunité, de toute-puissance, qui va de pair avec l’usage de produits dopants.  » Aucune équipe n’est à l’abri d’un cas isolé, affirme Gérard Guilaume, le médecin de la Française des Jeux (FDJ), qui fut d’ailleurs l’un des rares professionnels à soutenir publiquement Christophe Basson. Mais un médecin d’équipe ne peut pas être dupe d’un coureur qui se dope sur la durée.  »

Qu’est-ce qui peut encore ramener à bon port le paquebot Tour de France, ce Titanic qui prend l’eau de toutes parts pendant que l’orchestre joue à tue-tête ? Peut-être la peur d’être touché au porte-monnaie. Quand la ZDF, l’une des deux principales chaînes de télévision allemandes, rappelle qu’elle a  » signé un contrat de diffusion pour une épreuve sportive, pas pour un show montrant les performances de l’industrie pharmaceutique « , le milieu rit jaune. Dommage : on aurait pu voir les sprinters de l’EPO Team damer le pion aux rouleurs du Dr Mabuse.

Radier à vie les tricheurs

La réaction peut-elle venir des coureurs propres – une espèce en voie de disparition si l’on ne fait rien ? Le cyclisme sera-t-il capable d’organiser ses propres états généraux avant que d’autres lui coupent la tête ? L’UCI pourrait donner le tempo : fournir les dossiers des coureurs  » suspects  » aux managers sportifs, radier à vie les tricheurs et interdire les équipes qui ne font pas le ménage.  » On connaît la méthode pour lutter contre le dopage, souligne le Pr Gérard Dine, spécialiste de la question. Les contrôles effectués après une course ne suffisent pas. Il faut assurer une traçabilité biologique des coureurs à l’année, avec des contrôles inopinés. Sinon, on reste dans la logique du pas vu, pas pris.  »

Bien que rattrapé par la patrouille, Floyd Landis a reçu le soutien de Lance Armstrong. Et de sa maman, Arlene, qui a déjà pardonné à son  » fils merveilleux « . l

Boris Thiolay

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