Les soeurs  » Même pas peur ! « 

Le duo Gazzana se joue des frontières et des époques pour dessiner une image vibrante de la musique contemporaine. Rencontre avec Raffaella et Natascia.

Elles ne sont pas jumelles mais elles possèdent tous les mimétismes de la gémellité. On ne sait jamais qui va répondre à la question posée. On s’adresse à Raffaella (au piano) et c’est Natascia (au violon) qui s’exprime. Et vice versa. A l’image de leur façon de concevoir les oeuvres… Si la musique contemporaine vous fait peur, si les noms de Schnittke ou de Silvestrov éveillent en vous dissonances et zéro mélodie, les soeurs Gazzana possèdent les moyens de vous rassurer. Leur dernier enregistrement propose un surprenant programme de musique du XXe et du XXIe siècle.  » Nous avons voulu montrer qu’il ne fallait pas craindre ces oeuvres « , rayonne Natascia.  » Et nous nous sommes placées sous l’autorité de cette citation de Verdi : « Tornate all’antico e sarà un progresso ». Retrouvez l’ancien et ce sera un progrès…  » Le fil rouge de l’album repose en effet sur le regard rétrospectif porté sur l’histoire de la musique par cinq compositeurs  » récents  » : Schnittke, Poulenc, Silvestrov, Walton et Dallapiccola.

Le programme du disque a été conçu avec ECM, label très attentif à cette mise en lumière de morceaux inhabituels. Comme la Sonate si peu jouée de Francis Poulenc.  » J’associe cette sonate avec son expressivité brute parfois violente à certaines peintures de Goya « , commente Natascia. Dans la sélection du CD, seul le compositeur ukrainien Valentin Silvestrov, né en 1937, est encore vivant. Sa pièce Hommage à J.S.B. correspond elle aussi à la maxime de Verdi, c’est une sorte de voyage captivant dans l’intimité créative de Bach. Selon Raffaella,  » le problème avec la musique contemporaine, c’est qu’on la cantonne trop souvent à des oeuvres austères et difficiles qui se présentent plus comme des expériences sonores que comme de la musique « . Pourtant, dans leur programme figure aussi Walton, considéré un temps comme l’enfant terrible de la musique anglaise vu un avant-gardisme quelque peu déconcertant pour des oreilles  » tonales « .  » Pas tout à fait, réagit Raffaella ; à la fin de sa Toccata, on retrouve un allant très jazzy.  »

Contemporain bien tempéré

Verdi ou pas, on pourrait s’interroger sur une sorte de paradoxe : initier à la musique contemporaine en choisissant des productions qui s’immergent dans le passé… N’est-ce pas aussi choisir la facilité et le confort auditif standard que de sélectionner ces oeuvres évocatrices et d’ignorer les pièces plus novatrices ?  » Non ce n’est pas de la musique si facile ! s’offusque Raffaella. Je pense justement à Walton ou Poulenc. Et puis, on ne se cache pas derrière la musique contemporaine ; si nous voulons jouer du classique ou du romantique, on le fait au grand jour ! On propose d’ailleurs souvent Brahms ou Beethoven en concert. Mais notre intention est vraiment de faire découvrir cette musique qui rend hommage aux formes anciennes en usant de son propre langage novateur.  »  » Voyez notre choix de Dellapiccola inspiré par Tartini, ajoute Natascia. C’est beau à écouter, mais c’est aussi passionnant sur le plan de l’élaboration technique : le piano et le violon jouent la même chose mais à l’envers…  »

A propos de Schnittke, Raffaella explique :  » Nous avons découvert les Suite im alten Still (1972)à Genève, jouées par Itzhak Perlman et Bruno Canino : un vrai coup de foudre !  » Si l’on demande de deviner à l’aveugle le compositeur de ces opus, on peut s’attendre à des réponses telles que : Bach ou Scarlatti, tant Schnittke, ce compositeur soviétique d’origine juive allemande présente des facultés de caméléon musical. Sans oublier que deux de ces suites ont d’abord été composées pour deux films tournés par Elem Klimov.  » La musique de Schnittke possède un côté très visuel, qui renforce son côté accessible « , insiste Natascia. Parole autorisée, car la violoniste a par ailleurs décroché un master en arts visuels, tandis que sa pianiste de soeur cartonnait dans un master en musicologie.

Duo Gazzana, ECM New Series, 2014.

Philippe Marion

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