Les seigneurs de l’Anneau

Présenté pour la première fois à la Monnaie en 2008, c’est un Pelléas et Mélisande magnifié par la direction inspirée de Ludovic Morlot qui revient nous enchanter de ses accords mystérieux et envoûtants.

Pelléas et Mélisande, de Claude Debussy, à la Monnaie les 19, 20, 23, 24 et 25 avril. A noter : les 20 et 24 seront l’occasion de découvrir une distribution alternative avec, notamment, Yann Beuron (ténor) dans le rôle de Pelléas et Paul Gay (baryton-basse) dans celui de Golaud. www.lamonnaie.be

Histoire d’amour et de mort, tragédie des forces inconscientes qui nous gouvernent à notre insu, cet opéra de Debussy est le fruit d’une longue gestation. Durant près de dix ans, le compositeur sera véritablement hanté par Pelléas, Mélisande et Golaud, ces personnages sombres, secrets et flamboyants nés de l’imagination de Maurice Maeterlinck. Les difficultés ne lui furent pas épargnées et l’auteur de La Princesse Malène lui-même, qui souhaitait à toute force imposer son égérie et maîtresse Georgette Leblanc dans le rôle de Mélisande, ne fut pas le dernier à lui mener la vie dure.

Première extraordinaire à plus d’un titre, la version que l’on peut actuellement découvrir à la Monnaie rend pleinement justice au génie visionnaire de Debussy. Pour la première fois à la manoeuvre en tant que chef lyrique à la Monnaie, Ludovic Morlot a rapidement transformé ce coup d’essai en coup de maître. D’emblée, l’on ressent les profondes affinités qui se sont tissées entre ce jeune chef surdoué et la partition de Debussy, dont il fait à merveille ressortir les subtiles et précises intonations. Sous sa direction claire et assurée, l’Orchestre de la Monnaie exprime à plein la richesse luxuriante et la sensualité diaphane qui émanent de cette tragédie emplie de symboles. Tel cet anneau nuptial donné par le prince Golaud à l’  » étrangère  » Mélisande, perdu au fond d’une rivière, et qui deviendra le coeur secret de la tragédie et l’enjeu d’une quête de la vérité ultime qui se dérobe sans cesse.

Victime d’un léger accident musculaire, Sandrine Piau s’est vue remplacée par la mezzo Monica Bacceli qui, lors de cette première, donna donc la réplique, dans une configuration totalement inédite, aux barytons Stéphane Degout (Pelléas) et Dietrich Henschel (Golaud). L’osmose des tessitures ne tarde pas à se faire et les deux seigneurs d’Allemonde, le pays d’ombres et de forêts profondes où se situe l’action, rivalisent de puissance et de passion pour gagner le coeur de la mystérieuse inconnue. Monica Bacelli campe de façon saisissante une Mélisande à la fois passionnée et éperdue, écartelée entre sa fidélité à son époux Golaud et son irrépressible passion pour Pelléas. Une mention particulière pour le Norvégien Frode Olsen, impérial dans son interprétation d’Arkel, ce roi quasi shakespearien qui voit s’effilocher le destin de sa descendance et de son pays.

Magnifié par la mise en scène extrêmement mobile et dynamique de Pierre Audi, le superbe décor imaginé par Anish Kapoor resplendit sous des lumières à dominantes tantôt bleutées et mystérieuses, tantôt rougeoyantes comme la passion qui dévore les personnages. Cet artiste britannique d’origine indienne, qui a récemment conçu les décors de Parsifal avec le même Pierre Audi au Nederlandse Opera d’Amsterdam, signe ici un dispositif scénique d’une grande originalité. Une sorte de gigantesque utérus, qui tiendrait à la fois de la conque marine et de la cochlée auriculaire, pivote et tournoie lentement, tel un astre étrange passant du zénith au nadir, et se fait l’écrin fantasmatique et métaphorique de la tragédie qui se joue sous nos yeux. Une très belle réussite sur tous les plans, à ne rater, bien évidemment, sous aucun prétexte…

ALAIN GAILLIARD

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