Les ravages de la poudre blanche

La cocaïne fait de plus en plus d’adeptes en Belgique : 8,2 % des Belges y ont déjà goûté au moins une fois. Les consommateurs plus réguliers ne représentent que 2,7 % de la population. Cette drogue est encore loin de détrôner le cannabis, l’ecstasy et les amphétamines.

Docteur en psychologie, Marc Roelands est le responsable du Point focal belge sur les drogues et les toxicomanies, qui remplit le rôle d’un Observatoire des drogues et des toxicomanies à l’échelon fédéral.

Le Vif/L’Express : La consommation de cocaïne connaît-elle une hausse inquiétante ?

Marc Roelands : Ces dernières années, la consommation de cocaïne a augmenté fortement dans toute l’Europe. D’après l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), la cocaïne occupe maintenant en Europe le deuxième rang des drogues illicites consommées, après le cannabis. En Belgique, le cannabis, mais aussi l’ecstasy et les amphétamines précèdent la cocaïne. Bien qu’il y ait peu d’études récurrentes, la comparaison des résultats disponibles permet néanmoins de conclure qu’il y a aussi une hausse de la consommation de cocaïne dans notre pays. Cela se reflète dans les appels téléphoniques à Infor-Drogues : 10 % des appels portaient sur la cocaïne en 2001, 15 % en 2005. C’est une évolution qui mérite certainement notre attention. La cocaïne est une drogue dont le public sous-estime parfois les risques car elle est, malheureusement, entourée d’une aura chic,  » high class « .

Y a-t-il une évolution dans le profil des consommateurs ?

Comme pour les drogues illégales en général, moins de femmes que d’hommes consomment de la cocaïne. Une étude du Pr René Patesson (ULB), datant de 1999, a montré que, sur un échantillon de Belges âgés de 18 à 55 ans, le pourcentage de femmes ayant pris de la cocaïne au cours de l’année précédente représentait un tiers de celui des hommes. Ce ratio a été confirmé par les études annuelles de la Communauté flamande dans les écoles secondaires, de 2000 à 2005. La consommation est élevée chez les personnes qui utilisaient déjà d’autres drogues, surtout l’héroïne, mais la cocaïne est également présente dans les milieux festifs, souvent avec l’alcool, une association qui peut se révéler dangereuse, car elle augmente les risques d’overdose, de crise cardiaque et de problèmes hépatiques.

Peut-on qualifier ce phénomène de  » tsunami  » ?

Un terme pareil a l’avantage d’attirer l’attention sur le message, mais il risque de provoquer des réactions émotionnelles inutiles. Un tsunami est ressenti comme une force écrasante, ce qui est exagéré à propos de la cocaïne. Il est cependant très important de continuer à surveiller cette tendance défavorable dans des environnements différents : les Maisons d’accueil socio-sanitaires, les milieux festifs, les étudiants, etc. En Communauté française, ce monitoring est effectué par Eurotox, le  » sous-point focal sur les drogues « , qui travaille avec le Point focal belge.

A combien estime-t-on le nombre de consommateurs en Belgique ?

En ce moment, il n’est pas possible de les évaluer. Heureusement, la consommation de cocaïne sera mesurée dans la prochaine enquête nationale de santé, qui est menée cette année, ce qui devrait permettre de se faire une idée plus précise de l’étendue du phénomène. Nous disposons déjà d’informations sur les groupes où la consommation de cocaïne est la plus élevée. Plusieurs études confirment que les utilisateurs d’héroïne ont également adopté fortement la cocaïne. De plus, en 2004, cette substance était la deuxième cause de demande de traitement, après l’héroïne. La plupart des patients ont entre 20 et 40 ans et prennent de la cocaïne en association avec d’autres produits. Même si elle est plus faible, la consommation des jeunes est inquiétante parce que ce groupe est plus important. L’étude du Pr Danielle Piette (ULB) a fourni des données solides pour la période 1998-2002 en Communauté française. Chez les étudiants de 15 à 18 ans, elle mettait en évidence une consommation restée stable à son niveau de 3 %. Mais il est clair que nous avons besoin d’une nouvelle étude de même envergure.

De quand date le succès de cette drogue en Belgique ?

C’est difficile à dire parce que les études sur plusieurs décennies de consommation ne se développent que maintenant. Dans des milieux spécifiques comme celui des consommateurs par injection, la consommation a clairement augmenté entre 2000 et 2003. Par comparaison avec d’autres pays, la consommation est néanmoins plus élevée en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni que chez nous. Dans ces pays, il est établi que plus de 2 % de la population de 15 à 64 ans ont pris de la cocaïne au moins une fois dans l’année précédant l’enquête. L’OEDT estime qu’au moins 4,5 millions d’Européens ont touché à la cocaïne dans une période d’un an. Cela représente 1,3 % des Européens.

Que sait-on de la cocaïne au travail ?

Des études menées dans des pays voisins révèlent qu’il existe un groupe d’utilisateurs de cocaïne, principalement des hommes, ayant un travail régulier et des conditions d’habitation stables. Mais d’autres études ont montré qu’en général ils utilisent plutôt la cocaïne quand ils ne sont pas en train de travailler. Je ne trouve pas, en Europe, de données de recherche qui supportent la thèse d’une utilisation importante de la cocaïne pendant le travail. A ma connaissance, il n’y en a pas non plus en Belgique, et je ne suis pas convaincu de leur faisabilité. Il y a d’autres priorités de recherche, en ce moment.

Quelle stratégie de prévention faut-il adopter ?

Je suis chercheur, pas spécialiste de la prévention ou de la réduction des risques. La recherche permet d’ajouter quelques éléments concernant les caractéristiques de la consommation de cocaïne. Premièrement, celle-ci est plus souvent utilisée dans des espaces privés que les autres drogues. Deuxièmement, l’âge du début de la consommation est souvent plus élevé. Troisièmement, les manifestations physiques sont moins détectables. Enfin, la consommation de plusieurs substances (alcool, héroïne), en même temps ou en alternance, est plutôt la règle que l’exception. Le groupe d’utilisateurs est donc plus hétérogène et moins visible, donc, plus difficile à atteindre.

Concrètement, que faire ?

Il n’y pas de doute que, dans le cadre de la prévention primaire, l’éducation aux risques est importante. Depuis plusieurs années, l’information sur les effets et les dangers des drogues illicites est accessible au public. Des organisations comme Modus Vivendi et Infor-Drogues, en Communauté française, et la VAD ( Vereniging voor alcohol en andere drugproblemen), en Communauté flamande, développent et distribuent des fascicules sur les drogues, en général, et sur la cocaïne, plus spécifiquement. Leurs sites Web sont aussi une source valable d’informations. Leur présentation est adaptée aux jeunes, ce qui la rend intéressante et compréhensible. Pour ceux qui utilisent des drogues par injection, il y a des initiatives d’échanges de seringues dans cinq villes wallonnes. Les injecteurs de cocaïne peuvent également s’y présenter.

www.infordrogues.be

www.modusvivendi-be.org

www.prospective-jeunesse.be

www.vad.be

Entretien : M-C.R.

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