Le mentalisme n'est pas un but en soi pour Kurt Demey, mais un outil qui nourrit la recherche artistique. © FABIENGRUAU

Les portes de la perception

Dans Réalités, à voir à Tournai et à Bruxelles, Kurt Demey utilise les techniques du mentalisme pour ouvrir poétiquement d’autres univers. De quoi perdre positivement les pédales.

Un livre peut parfois changer votre vie. L’Apprenti sorcier, de Tahir Shah, lu en 2000, a révélé à Kurt Demey un monde insoupçonné: celui de la magie telle qu’elle se pratique au quotidien en Inde. Il n’en fallait pas plus pour que l’artiste plasticien, arrivé au théâtre « par accident », se lance dans la découverte du mentalisme. Jusqu’à suivre, en 2008, les pas du personnage du roman, à la rencontre de gourous et de maîtres de magie.

« En Inde, il y a des magiciens qui font des tours anciens dans la rue, raconte Kurt Demey, et des gourous de différentes sortes, dont certains sont très actifs et développent tout un commerce autour de leur personne. Comme Sathya Sai Baba, décédé en 2011, qui crachait des oeufs en or. Nous, Occidentaux, pensons qu’il est impossible de cracher des oeufs en or, que ce n’est pas vrai et que faire croire pareille chose n’est pas honnête. Mais pour les gens là-bas, ça l’est. Ils voient les choses d’une autre façon. Quand je demandais aux gourous pourquoi ils mentaient, cette question était, pour eux, à côté de la plaque. Ils ne considèrent pas qu’ils mentent, ils travaillent avec l’imagination. Je trouvais ça intéressant, car dans l’art, dans le théâtre, on travaille aussi avec ça, on ouvre un portail vers l’imagination. »

Je ne veux pas « faire croire » mais amener le public dans un monde régi par d’autres lois.

Vers une sorte de croyance

Kurt Demey en est convaincu, n’importe qui peut devenir mentaliste. Il n’existe pas vraiment d’école pour se former, mais une multitude de livres et de nombreux congrès. « Ce n’est pas un don, c’est comme apprendre un instrument. Si tu veux jouer de la contrebasse, tu suivras des cours et tu pratiqueras. Plus tu t’exerceras, mieux tu joueras. Mais c’est vrai que le travail ne suffit pas toujours pour devenir un virtuose, il y a aussi une question de talent. »

Pour lui, le mentalisme est très proche du jeu d’acteur. « Par contre, précise-t-il, il faut être capable de jouer trois pièces en même temps.Quand je pratique le mentalisme, je parle au public tout en préparant autre chose, et alors que j’écoute les réactions du public, je me demande quel chemin j’emprunterai pour arriver là où je veux. C’est un chemin de manipulateur. » Pour expliciter ces procédés, Kurt Demey prend l’exemple du jeu de cartes. « Tu tires une carte dans un jeu. Moi je sais que toutes les cartes sont les mêmes, mais toi tu ne le sais pas parce que dans ton cerveau, un jeu de cartes se compose de cinquante-deux cartes différentes. A partir du moment où je montre que je sais quelle carte tu as prise, je peux dire plusieurs choses. Soit je révèle que toutes les cartes sont les mêmes et tu rigoleras, soit je peux raconter que la veille, j’ai rêvé que tu tirais un sept de coeur et te faire croire que je peux voir dans le futur. Le travail du mentaliste, c’est d’abord de bien comprendre comment fonctionne le cerveau, et puis de mettre en place un récit et des actions qui mèneront vers une sorte de croyance. »

Les portes de la perception
© MURIEL POOT

Lois poétiques

En 2008, Kurt Demey créait, avec sa compagnie Rode Boom, son spectacle fondateur L’Homme cornu ( Gehoornde man, en VO). Accompagné par le contrebassiste Joris Vanvinckenroye, il évoluait avec une paire de cornes, symbole du diable, dans le dos, là où les anges portent traditionnellement leurs ailes, et livrait une sorte de confession d’un mentaliste. Une image forte pour dénoncer le côté sombre de ces techniques qui semblent conférer à celui qui les maîtrise un pouvoir supérieur et qui peuvent donner au public l’impression déplaisante d’être assez bête que pour se laisser berner. « Ce mentalisme qui ferme, ce n’est pas mon truc, affirme Kurt Demey. Mon but, c’est d’ouvrir. Quand on perd les pédales face à quelque chose qu’on ne comprend pas, on cherche des solutions et moi, je donne des réponses mais de manière poétique. Je ne veux pas « faire croire » mais amener le public dans un monde régi par d’autres lois. »

Pour que les choses soient bien claires, Kurt Demey ne propose pas un spectacle de mentalisme comme au cabaret où les tours s’enchaînent à toute vitesse. « Dans mon spectacle, si je fais le compte, il y a quatre ou cinq tours en une heure et demie. Le mentalisme n’est pas pour moi un but en soi, mais un outil qui nourrit la recherche artistique. » Une recherche qui puise aussi dans la science. Parmi les sources d’inspiration de Réalités, Kurt Demey cite notamment des ouvrages du physicien italien Carlo Rovelli, célèbre pour ses réflexions sur le temps. Mais aussi des oeuvres de fiction singulières, comme le film Réalité de Quentin Dupieux ou encore Being John Malkovich de Spike Jonze. Et l’artiste d’expliquer encore que pour expérimenter d’autres réalités, il est allé jusqu’à prendre des substances hallucinogènes présentes dans certains champignons ou secrétées par le crapaud Bufo alvarius. Avec sa scénographie à laquelle a collaboré le photographe Fabien Gruau et qui comporte plusieurs centaines de kilos de pierres, Réalités risque de vous emmener loin, très loin.

Réalités, à la Maison de la culture de Tournai, les 16 et 17 novembre, et aux Halles de Schaerbeek, le 30 novembre et le 1er décembre.

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