Les plaisirs du lecteur

Qu’est-ce qui fait la qualité d’une fiction romanesque ?

Jean-Paul Patty, par e-mail

Beaucoup recherchent dans la lecture d’un livre un divertissement. Même le plus féru de bonne littérature, à certains moments, n’espère pas autre chose. Il faut entendre ici divertissement au sens de se détourner, d’aller ailleurs, de se séparer. En l’occurrence, du quotidien avec son ennui et ses difficultés. Mais pas n’importe comment, dans la mesure où ce terme connote une idée évidente de plaisir. Le lecteur n’est pas un spectateur maussade. Il veut s’oublier en s’amusant. Pour s’occuper l’esprit, il demande qu’on lui offre une succession si prégnante d’événements que le cours de son quotidien ne puisse l’en arracher. Le seul effort qu’il consente, c’est de suivre la trame d’un récit construit de telle façon qu’il s’y intéresse toujours davantage ; autrement dit : s’abriter de soi. Le mot de spectateur est essentiel, car il distingue la lecture comme divertissement de l’ autre lecture où on est acteur par complicité parce qu’on conduit une exploration de soi à travers un récit. Il ne s’agit plus de s’échapper mais de se retrouver.

L’amateur de littérature s’offre donc un plaisir singulier : celui de s’identifier avec la subjectivité des acteurs du récit. Un voyage en pays connu lors même que tout est neuf : le décor, les événements, les personnages. Leur différence, leur étrangeté même, la singularité de leur histoire ne creusent aucune distance. Même étrangers, ils forment une part de son intimité. Ils sont une part de lui-même. Il n’y a aucune recherche fallacieuse d’identité mais la découverte progressive d’une communauté de désirs, de craintes, de joies… de regrets. Le plaisir est d’autant plus vif que cet amateur de littérature apprend à mieux se découvrir à travers cette humanité imaginée. Telle attitude dans une situation donnée, telle parole ou geste lâché (ou retenu), telle raison d’espérer ou de désespérer, telle réflexion sur la société sont tout à coup communs au-delà des différences de temps, de circonstances, de cultures : une retrouvaille d’humanité.

Deux attitudes sont à l’£uvre dans cette dévotion littéraire : la curiosité et le narcissisme. Curiosité de (re)connaître l’Autre au-delà du cercle des connaissances, des données culturelles et de la rumeur événementielle. Il y a aussi le narcissisme, fût-il inavoué ou inconscient. Il distingue l’Autre comme un reflet qui le conforte ou le rassure. Certes, c’est une image mais décalée. L’Autre prend les excès et les déconvenues. Lui-même garde la meilleure part. Elle lui permet de se comprendre sans avoir à assumer.

Jean Nousse

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