Les pistes brouillées d’un fou d’Allah

Pourquoi les services de renseignement n’ont-ils pas détecté la dangerosité de Mohamed Merah ? Ont-ils failli ? La gestion de son  » dossier  » continue de faire polémique.

A l’épreuve du deuil, la frontière séparant le succès de l’échec paraît souvent fragile. Certes, Mohamed Merah a bien été neutralisé moins de dix jours après son premier meurtre, ce qui a sans doute sauvé plusieurs vies. Ce petit délinquant islamisé de 23 ans, qui avait effectué plusieurs voyages dans des pays sensibles, avait été repéré par les services de renseignement. Mais cette surveillance n’a pas permis de détecter la dangerosité réelle de celui qui, un an plus tard, allait devenir le  » tueur au scooter « , visant quatre militaires, un rabbin et des enfants juifs au collège-lycée Ozar-Hatorah de Toulouse. Une  » faille  » ? Le ministre français des Affaires étrangères lui-même, Alain Juppé, s’est interrogé à haute voix.

Voilà des années que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, soit près de 4 000 fonctionnaires) et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, forte de plus 4 750 agents et d’un  » service action « ) identifient comme principale menace le retour en France de fanatiques endoctrinés et entraînés militairement à l’étranger. Mais comment distinguer les futurs terroristes de ceux qui font le voyage en Orient pour des raisons purement confessionnelles ? L’attrait pour le salafisme, un islam traditionnel et rigoriste, conduit toujours plus de jeunes sur les chemins d’universités coraniques, notamment en Egypte et en Arabie saoudite. Mohamed Merah a cherché, lui aussi, à échapper aux  » écrans radar  » occidentaux. De juillet à octobre 2010, un premier voyage le conduit en Egypte, où son frère Abdelkader, désormais suspecté de complicité, fréquente une école coranique. Pour le rejoindre, le Toulousain passe par l’Allemagne, la Turquie, la Syrie, le Liban et même Israël. A son arrivée à Tel-Aviv, la police découvre un canif dans son sac, mais il est remis en liberté. Il passe pour appartenir au mouvement tabligh, tourné vers la prière.

Il faudra un autre incident – mineur – pour qu’il soit repéré, loin, très loin de ses bases toulousaines : en Afghanistan. Le 22 novembre 2010, neuf jours après son entrée dans le pays, via le Tadjikistan, il tombe sur un contrôle routier à Kandahar (sud), un bastion taliban. Il est remis aux Américains, qui l’éloignent par avion vers Kaboul. Au passage, ils l’inscrivent sur leur  » no-fly list « , le titanesque fichier des personnes interdites de vol vers les Etats-Unis.

 » Huit lignes « , dont celle de sa mère, sur écoutes

Paris apprend l’information en janvier 2011, un mois après le retour de Merah à Toulouse, via Dubaï.  » Nous avons réalisé ce que nous appelons une « tranche de vie », explique un commissaire. Le principe est simple : il s’agit d’identifier les relations du « suspect » et de détecter un éventuel changement de comportement, en l’observant pendant des semaines. « 

Dans le cas de Mohamed Merah, rien de saillant n’émerge en ce début d’année 2011.  » Les films tirés des filatures montrent un jeune homme qui ne change rien à ses habitudes et à ses attributs vestimentaires « , se souvient un enquêteur. De fait, il reprend le fil de sa vie d’avant, ses rodéos en voiture et à moto dans son quartier. Un clignotant, pourtant, s’est allumé : Merah, qui s’enferme des jours chez lui, volets clos, aurait imposé à un adolescent le visionnage de vidéos de décapitation, utilisées pour la propagande islamiste. L’information remonte jusqu’à la DCRI.

Comme Mohamed Merah ne possède, semble-t-il, ni portable ni connexion Internet personnelle, il est impossible, selon les policiers spécialisés, de le placer sur écoutes. Ils lancent malgré tout une enquête assez poussée.  » Huit lignes  » utilisées par ses proches, dont celle de sa mère, sont surveillées.  » Mais, quatre jours plus tard, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité [CNCIS] a exigé que nous stoppions ces écoutes, car rien de suspect n’apparaissait dans les conversations « , assurent, au Vif/L’Express, deux sources policières de haut rang.

Le 14 novembre 2011, un entretien de personnalité

A l’automne 2011, la DRRI de Toulouse vient aux nouvelles auprès de la mère de Mohamed Merah. A l’en croire, son fils serait parti au Pakistan le 19 août, afin de  » trouver une épouse « . De fait, le jeune homme rappelle aussitôt l’officier chargé de son dossier, promettant de venir le voir à son retour. En remontant l’appel téléphonique, les policiers ont confirmation qu’il vient bien de Lahore. A peine rentré, le 19 octobre 2011, après une hospitalisation pour une hépatite, il se rend à la convocation. L’entretien, qui a lieu le 14 novembre, se passe presque cordialement : pour prouver le but touristique de son voyage au Pakistan, le jeune carrossier montre les photos prises en chemin.

Mais les policiers continuent de garder un £il sur lui. Comme d’autres, à Toulouse et ailleurs, Merah fait l’objet d’une discrète  » mise en attention  » au  » fichier des personnes recherchées « . A partir de cet instant, les forces de l’ordre ont pour consigne de signaler sa présence si elles viennent à le contrôler ou s’il franchit une frontière. Merah se fera oublier, jusqu’à son premier meurtre, le 11 mars, à Toulouse.

Si l’enquête démontrait que l’assassin était en réalité le bras armé d’une organisation, réussissant jusqu’au bout à masquer ses intentions, c’est tout un système qu’il faudrait revoir. Mais si, comme le pressentent les policiers, le  » tueur au scooter  » a basculé récemment dans une dérive personnelle et  » psychotique « , il conviendra de resserrer les mailles du filet au plus vite.

ERIC PELLETIER ET JEAN-MARIE PONTAUT (AVEC PASCAL CEAUX)

 » Ecouter un islamiste qui ne représente pas de menace directe relèverait du délit d’opinion « 

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