Les pièges de l’après…

A l’heure de la retraite, les sportifs de haute compétition ont encore la vie devant eux. Leur reconversion n’est pourtant pas simple, tant le sport intensif laisse des traces, physiques et psychologiques

Les fanatiques de cyclisme retiendront surtout de l’édition 2004 du Liège-Bastogne-Liège la victoire de Davide Rebellin, d’autant plus remarquable qu’elle suivait, en un triplé inédit, ses succès à l’Amstel Gold Race et à la Flèche wallonne. Les plus chauvins se souviendront, pour leur part, de l’échappée manquée de l’équipe Lotto et des espoirs déçus de voir Peter van Petegem ou Axel Merckx passer la ligne d’arrivée en levant les bras au ciel en signe de victoire. Les autres, plus people, comme on dit maintenant à propos des amateurs d’anecdotes vécues par des célébrités, se rappelleront la présence attentive, mais de l’autre côté des barrières Nadar, de Johan Museeuw, quelques semaines seulement après sa retraite. Encore tout auréolé de gloire, il goûtait aux derniers soubresauts de l’attention médiatique, pour répondre û évasivement, s’entend û aux questions sur ses projets d’avenir. Et ses propos ont rassuré les foules : il n’abandonnerait pas, c’était décidé, le monde du cyclisme.

Il s’est avéré, par la suite, que le  » Lion des Flandres  » allait assurer la direction sportive de Quick Step-Davitamon pendant le Tour de Belgique. Museeuw se range ainsi dans la voie généralement suivie par les anciens sportifs de compétition, celle qui se situe en marge du sport professionnel. Et pour cause : ils jouissent d’une bonne condition physique, ils ont souvent acquis des compétences techniques remarquables et font état d’une expérience inestimable du milieu sportif. De professeurs d’éducation physique à entraîneurs de futurs champions, en passant par consultants ou commentateurs occasionnels, la palette des professions transitoires offre de nombreuses portes de sortie. Ouf ! Parce qu’à 30 ans environ, même les plus riches en conviendront, il est trop tôt de n’envisager que des parties de pêche pour remplir ses jours…

Dans le cas des athlètes, cependant, la reconversion est bien plus délicate que celle d’autres catégories de professionnels, parce qu’elle a une composante physique inéluctable en plus des difficultés habituelles, et parce que la dimension psychologique est également exacerbée, tout au moins lorsque le sport pratiqué a mené au succès.

Troubles méconnus

Mens sana in corpore sano, le sportif de compétition a, en général, vécu une petite vingtaine d’années au rythme des entraînements, des championnats et des autres grandes épreuves du calendrier. Quand il s’arrête, non seulement son horloge mentale met un bon bout de temps à ralentir, mais son corps, toujours nourri, huilé, entretenu comme une machine, encaisse parfois mal la négligence à rebours qu’il va subir.  » Le sport à haute dose, ça fait mal « , soulignait le quotidien français Libération dans un dossier consacré, il y a quelques années, aux maux subis par les sportifs retraités. Des médecins y citaient des troubles physiques méconnus, surgissant après l’arrêt des compétitions, tels que la capsulite, touchant la gaine des muscles rotateurs de l’épaule, pour les champions de tennis, l’arthrose précoce de la hanche ou du genou pour les footballeurs, le traumatisme cervical chronique des anciens boxeurs. Pour les éviter, ou ralentir leur apparition, un seul remède : la poursuite d’un exercice physique régulier mais moins intensif, du reste également conseillé pour s’aérer l’esprit. Les anciens champions s’y prêtent généralement volontiers, et n’hésitent pas à s’inscrire dans des compétitions de vétérans, pour la santé comme le plaisir. L’ancien champion de tennis John McEnroe, au sortir des émissions de télévision qu’il anime désormais, renvoie encore des balles assassines à ses adversaires, en matchs d’exhibition ; Eddy Merckx se laisse photographier sur les routes où il enfourche régulièrement les vélos de sa fabrication, le roi Pelé tape encore la balle, avec des enfants, plus ou moins proches de lui.

Tous n’ont pas cette souplesse d’esprit, qui leur a fait accepter à la fois leur passé, leur nouvelle condition et leurs limites. Dans une étude consacrée aux répercussions de la cessation du sport d’élite sur l’image corporelle, Yannick Stephan, sociologue du sport à l’université de Montpellier, montre que l’arrêt ou la diminution de l’activité physique ont un effet déterminant sur la satisfaction des anciens sportifs quant à l’état de leur corps. Après avoir observé et interrogé deux groupes de sportifs û d’anciens athlètes olympiques et des sportifs de haute compétition toujours actifs û l’enquêteur a constaté qu’après un mois et demi de détente forcée, les athlètes retraités souffrent profondément de leur image faiblissante :  » Ils ont d’abord mentionné un gain de poids et souligné l’incertitude par rapport à leurs capacités physiques réelles, tout en admettant que la reconnaissance sociale toujours réelle leur permet de maintenir une satisfaction physique. Avec le temps, cependant, ils se rendent davantage compte de leur détérioration corporelle, puisque les exercices pratiqués leur servent de tests. S’ajoutent à cela une diminution de leur valeur sociale et des manifestations somatiques troublantes.  »

Le dérapage

Touchés dans ce corps qu’ils ont, des années durant, renforcé et idolâtré, mais piégés par l’âge ou l’usure et, donc, par l’impossibilité de produire de nouvelles performances, les anciens sportifs perdent parfois leurs repères. Face au monde  » réel « , ils ont simplement besoin d’aide. Ainsi Javier Sotomayor, recordman du monde en salle en saut en hauteur, a-t-il pris des conseils auprès de celui-là même qu’il avait battu en 1989, Carlo Trenaerdt.  » Je suis déjà passé par cette période de la retraite, je sais que c’est dur, c’est pour cela que je crois qu’il faut aider Javier « , déclara l’Allemand.

Aujourd’hui, les écoles sportives inculquent aux jeunes, au-delà de l’amour du sport, la notion de sa relativité ou comment, pour s’en sortir dans la vie, ils ont bien d’autres cordes à leur arc. Plusieurs sportifs s’appuient sur leurs proches. Mais d’autres finissent par sombrer.

 » C’est surtout un problème pour les athlètes titrés à qui on a déroulé le tapis rouge « , écrit dans L’Humanité Gérard Garreau, psychiatre du sport.  » On les a presque considérés comme des enfants et tout a été fait pour privilégier leurs résultats. On a décidé et géré à leur place. Cela a pu donner des gens survalorisés, surprotégés, pour ne pas dire surglorifiés. Le problème, pour certains, est qu’ils ont du mal à passer à l’état d’adulte. Tout dépend de leur personnalité.  » Face à ce danger, les adeptes de sports moins médiatisés tels que l’escrime, le décathlon ou le kayak présentent évidemment moins de risques que les footballeurs ou les joueurs de tennis. De même, les succès fulgurants sont plus dangereux que les carrières lentement bâties.  » En clair, plus on en a chié avant, plus on a de chances de garder les pieds sur terre « , rétorque Eric Srecki, double champion olympique d’escrime, aujourd’hui retiré de la compétition.

Ceux à qui la gloire manque cruellement, ceux qui n’ont gardé du sport que les 10 % de superficialité, alors que les principes de l’éthique sportive peuvent être largement appliqués, avec succès garanti, à la vie privée et professionnelle, ceux qui ont sacrifié, par soif de victoires, à la fois leur jeunesse et l’aube de leur maturité, se laissent parfois, quand ils se retrouvent seuls en fin de parcours, tenter par des substances nocives mais pourvoyeuses d’évasion. Le sport de compétition, même pratiqué sans recours à des produits interdits, n’est-t-il pas une drogue en soi, en speedant chaque instant de la vie des jeunes ? D’après une enquête menée en France auprès d’anciens sportifs asservis à une drogue, la majorité disent s’y être adonnés après la fin de leur carrière sportive, sans s’être jamais dopés auparavant.  » Le délai d’apparition de la dépendance, pour les drogues illicites, se situe dans l’année du sevrage de l’activité sportive, et survient plus tardivement dans le cas de la dépendance à l’alcool « , nous apprend l’enquête. Le cas du malheureux Diego Maradona fournit un bel exemple de cette longue et tragique perdition. A méditer…

Carline Taymans

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