Les nouveaux conquérants

A Tournai et dans l’ensemble de la Wallonie picarde, on a le sens du collectif. On se réunit aussi bien pour faire la fête que pour créer et innover, en se jouant des frontières entre les secteurs d’activité. Dans l’ombre ou la lumière, des hommes et des femmes unissent leurs efforts pour imprimer à la région une dynamique gagnante. Voire conquérante. En voici les plus exemplaires.

Les 400 Coups Ciel, la Wapi fait l’événement !

Avec Les 400 Coups, c’est toute la Wallonie picarde ou presque, 18 des 23 communes en fait, qui était  » territoire associé  » de Mons 2015. Du 2 août au 13 septembre derniers, des  » événements-ciels  » organisés dans chacune des communes ont entraîné les Wallons picards dans des moments à la fois artistiques et festifs, largement participatifs.

Régine Vandamme, directrice de culture.wapi, l’agence culturelle qui produisait les 400 Coups, souligne que  » c’est la première fois qu’on peut parler d’un projet culturel qui concerne tout le territoire, mais le processus de dynamique culturelle territoriale a été entamé en 2010 et les 400 Coups en constituent un jalon « . Leur conception a été confiée à M. Zo, bien connu pour les spectacles multidisciplinaires qu’il met en scène dans les espaces publics, bien au-delà de la région. Celui qui se définit comme  » art-penteur  » s’est entouré de  » pilotes  » apportant chacun leur univers particulier : Anne Bierna, future coordinatrice de la Maison des associations qui s’ouvrira cet été dans les anciens locaux de l’Office du tourisme ; les designers Florian Debal, Antoine Sion et la plasticienne Bélinda Macri, de l’Atelier Michel Dupont, spécialisé dans l’upcycling, qui s’est chargé de la décoration d’une vingtaine de magasins de la chaîne Exki avec des matériaux de récupération ; Pascale Loiseau et François Van Dorpe qui ont créé la maison d’édition Les déjeuners sur l’herbe…

 » Un des succès des 400 Coups est la forte mobilisation d’associations moins connues et la mixité des mondes, note Régine Vandamme. De nombreuses belles choses ont germé, des talents se sont révélés. Les géants de la Wallonie picarde se sont mêlés aux acteurs culturels et des petites brasseries artisanales se sont associées à des événements. Les participants enrôlés par Fred Degand pour La promenade du dragon ont montré que des artistes et des associations aux personnalités très diverses peuvent travailler ensemble. L’aspect gagnant des 400 Coups est l’émergence d’une pratique collaborative qui capitalise les talents du territoire et promeut une autre façon de travailler, y compris dans le groupe des agents relais désignés par chaque commune pour concevoir le projet. Par exemple, nous avons mis en place un réseau de photographes amateurs. Cela a un réel impact sur la façon dont les gens se voient et ont envie d’aborder l’avenir proche.  »

Dufour, Technord Des poids lourds du passé tournés vers le futur

Deux entreprises familiales ancrées dans l’histoire économique tournaisienne. Deux gros pourvoyeurs d’emplois. Dufour, active dans la logistique, le génie civil, l’environnement, entre autres, emploie plus de 700 personnes. Technord, ensemblier du génie électrique, occupe 360 salariés et cherche encore plus de 25 ingénieurs informaticiens. Toutes deux investissent des moyens importants pour améliorer le quotidien de la collectivité.

Il y a quelques semaines, la famille Dufour inaugurait le parc d’activités Fernand Dufour sur le site historique que l’entreprise a quitté en 1998 pour s’établir dans le zoning de Tournai Ouest. Elle y a construit un bâtiment de 4 000 m2, avec des matériaux durables et répondant aux nouvelles normes énergétiques. Six entreprises artisanales s’y sont installées. D’autres projets sont en cours sur des friches industrielles que le groupe possède encore au centre de Tournai, confie Olivier Dufour.

Son frère Frédéric souligne que  » c’est un projet économique avant tout, bien sûr, mais aussi un signe au passé, un esprit d’initiative qu’on entend poursuivre. La génération actuelle reste particulièrement animée par le sens de l’entreprenariat et nous espérons sincèrement que cette nouvelle zone d’activités pourra susciter cet esprit du développement auprès des entrepreneurs qui s’y regroupent.  »

Michel Foucart, fondateur du groupe Technord, a transmis les rênes de la société à son fils Philippe. Avec sa fille aînée, infirmière pédiatrique, il élabore depuis quatre ans un projet de crèche d’entreprise dont l’ouverture est programmée en septembre prochain pour augmenter le taux de couverture du besoin d’accueil de jeunes enfants, plafonné à 43 % à Tournai. Véronique Foucart explique avoir visité avec son père 35 crèches en Belgique, en France et au Québec.  » Nous nous sommes inspirés du modèle français pour amorcer cette expérience pilote. La construction du bâtiment de 900 m2 dans la rue de la Lys, siège de Technord, est financée par la fondation familiale à 100 % et une partie des 45 places est sponsorisée par des entreprises locales qui en réservent chacune deux ou trois pour les enfants de leurs salariés.  »

Pour l’exploitation de la crèche, les Foucart ont élaboré un partenariat public-privé avec l’ONE. Douze équivalents temps plein seront occupés par des puéricultrices, mais aussi des instituteurs et des éducateurs.  » C’est aussi un projet pédagogique, s’enthousiasme celle qui a suivi une formation complémentaire de deux années dans la section « directrice de maison d’enfants » à l’Ifapme. Plus qu’un projet professionnel, c’est l’occasion de laisser une trace, une belle continuité de ma carrière.  »

Bush, Cuvée des trolls, Rondeau des géants… Des bières qui font mousser les festivals

En Wallonie picarde, une quinzaine de microbrasseries et brasseries artisanales commercialisent une centaine de bières. Certaines sont célèbres bien au-delà du territoire, comme la Bush créée en 1933 par la Brasserie Dubuisson, où huit générations de brasseurs se sont succédé depuis sa fondation en 1769.

Il n’est pas un événement festif ou culturel auquel une bière n’est associée. La Brasserie de Silly était un des sponsors du dernier Ramdam (lire aussi en p. 104), le festival du film qui dérange, et soutient de nombreux autres festivals. En 2014, à l’occasion de la Ducasse d’Ath, la Brasserie des légendes lançait le Rondeau des géants, un coffret dans lequel chacun des géants athois, en fonction de son caractère, s’est vu associer à une bière de la gamme ou un brassin spécial élaboré par la brasserie.

Les brasseurs veillent à ce que l’esprit de l’événement qu’ils soutiennent corresponde au caractère de leur bière. La Cuvée des trolls de la Brasserie Dubuisson a donné son nom à la Trolls X’Trem Run, une course d’obstacles doublée d’un concours de déguisement, organisée depuis 2012 à Stambruges (Beloeil).  » La Cuvée des trolls, créée en l’an 2000, se positionne pour les jeunes avec un esprit festif et décalé, précise Sylvie Vandenhautte, responsable marketing de la brasserie. C’est donc naturellement que nous l’avons associée à cette course. Elle est aussi associée au Festival du film fantastique et au Festival trolls et légendes qui se tient tous les deux ans à Mons. Notre marque Bush est associée à La boîte de jazz, un spectacle itinérant qui tournait l’an dernier, car elle a à peu près le même âge que le genre musical.  »

Belvas Le chocolat le plus vert d’Europe

Licencié en sciences économiques, Thierry Noesen a occupé des postes à responsabilité dans de grands groupes internationaux avant d’acquérir la chocolaterie Devas dont il a fait Belvas, en 2005. L’ensemble de ses matières premières provient du commerce équitable, toutes ses productions sont bio et l’emballage est assuré par des travailleurs d’une entreprise de travail adapté (ETA). Bien qu’elle exporte vers l’Allemagne, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, la chocolaterie installée à Ghislenghien tient à rester entièrement artisanale.

En 2011, la Commission européenne la sacrait  » microentreprise la plus écologique d’Europe « . Aujourd’hui, 50 % de ses besoins en énergie sont couverts grâce à 396 panneaux photovoltaïques. Belvas a également développé un système qui récupère la chaleur produite par l’air conditionné pour chauffer l’eau qui maintient la température des tanks de stockage du chocolat fondu et participe à plusieurs programmes de recyclage, tels que la transformation des déchets organiques en biométhanisation.

L’homme d’affaires aux aspirations éthiques est également auteur, compositeur et interprète du groupe folk Clac et les portes, qui a participé à la finale de sélection du concours Eurovision 2011. Mais ça, c’est une autre chanson !

BattleKart Entre karting et jeu vidéo

A Mouscron, une dimension supplémentaire est apportée au karting : la réalité augmentée ! Les joueurs prennent place dans un kart qui se déplace réellement, tout en étant immergés dans un environnement virtuel projeté au sol avec lequel ils interagissent, comme dans un jeu vidéo. Tirs de missiles ou de mitraillettes, dépôt de flaque d’huile pour ralentir la course des concurrents, turbo pour booster la sienne… autant de bonus obtenus tout au long du circuit. C’est au cours de ses études à la faculté polytechnique de l’Umons que le Mouscronnois Sébastien Millecam a l’idée de placer un laser sur un kart  » pour faire comme du laser game, mais avec un kart pour le rendre plus fun « . L’idée a évolué et s’est concrétisée l’été dernier dans un immense entrepôt, où 15 000 parties se sont déjà déroulées.  » Ça fonctionne par le bouche-à-oreille. Des clients reviennent avec d’autres. Certains sont déjà revenus 15 fois.  » De partie en partie, les joueurs acquièrent de l’expérience et augmentent leur niveau. En novembre dernier, BattleKart remportait la troisième édition du concours NRJ Startup qui récompense le projet le plus audacieux de l’année.

L’Atelier Michel Dupont Du choix économique à l’histoire d’amour

Ils ne voulaient pas d’un nom portant les termes  » agence  » ou  » design  » pour signer leurs activités. Quand ils ont terminé leurs études en stylisme d’objet à Saint-Luc, Florian Debal, le Belge, et Antoine Sion, le Français, se sont associés au sein de l’Atelier Michel Dupont, qui fêtera ses 10 ans en septembre prochain. Des raisons économiques les ont poussés à travailler à partir de matériaux de récupération. C’est devenu une passion.

 » Nous avons fait beaucoup d’expos et de salons pour nous faire connaître et, de fil en aiguille, nous avons étoffé notre book, raconte Antoine. On vendait aussi nos créations dans une boutique d’Oxfam. La famille et les amis ont fait fonctionner le bouche-à-oreille.  » Les jeunes designers ont été remarqués par la chaîne de restaurants bio Exki qui leur a confié la décoration d’une vingtaine de sites où ils ont apporté leur patte, soit un contraste de bois où se côtoient matériaux bruts et agglomérés, y compris les  » motifs dégueulasses  » d’une vieille étagère scandinave…

Leur participation aux 400 Coups les a propulsés dans une activité pluridisciplinaire. Depuis, les deux créatifs se sont recentrés sur une clientèle locale et transfrontalière et répondent à de multiples demandes, notamment dans le domaine de la scénographie.

Ramdam Les Tournaisiens adorent être dérangés

Un festival dont la programmation  » remue, questionne, suscite écho et débat, interpelle, chambarde, émeut, fait réfléchir, trouble, gêne, choque, importune, transgresse, bref, fait du barouf, du raffut, du vacarme  » : tel est Ramdam, le festival du film qui dérange. Créé à l’initiative de la Ville de Tournai, de la Maison de la culture, de NoTélé, du Conseil de développement de Wallonie picarde et du complexe Imagix, Ramdam n’a cessé de voir progresser son nombre de festivaliers, passé de 4 000 en 2011 à 19 000 en 2016. Chaque année, un comité artistique se nourrit de films, fictions et documentaires, dans les festivals de Cannes, Toronto et Deauville, notamment, pour en tirer de quoi nourrir le sien.

Ancien directeur de NoTélé, Jean-Pierre Winberg dispose aujourd’hui de plus de temps pour se consacrer pleinement à la présidence du festival.  » On nous avait déconseillé un tel concept, issu d’un brainstorming suscité par Peter Carpentier (NDLR : l’ancien propriétaire d’Imagix, cédé depuis au groupe Deficom), mais l’organisation de débats à l’issue des projections et l’espace festivalier où les gens peuvent exorciser leurs impressions et leurs émotions ont fait le succès du festival.  » Qui n’en attendait pas tant.

Danse et Cie Du bal des débutants à celui de Saint-Pétersbourg

Fondée par Xavier Gossuin en 1991, Danse et Cie est d’abord une école de danse privée. Très vite, elle s’impose sur la scène tournaisienne et devient le Centre d’expression et de créativité (CEC) en 2002. En septembre 2012, le centre entame une collaboration inédite avec l’Institut d’enseignement provincial (Ipes) pour créer les  » humanités chorégraphiques « , une filière de l’enseignement secondaire artistique de transition.

L’idée trottait dans la tête de Xavier Gossuin depuis quinze ans et sa concrétisation a nécessité trois ans de travail et réflexion. Les élèves suivent les cours généraux à l’Ipes et ceux de danse, classique et contemporaine, dans les locaux de Danse et Cie.

Aujourd’hui, 650 personnes fréquentent un ou plusieurs des 80 ateliers hebdomadaires : danse classique, contemporaine, jazz, claquettes, mais aussi disciplines liées au bien-être, comme le pilates, le stretching… ou encore la danse du XIXe siècle et la création de costumes. Et l’impératrice Sissi, que Xavier Gossuin incarne chaque année depuis vingt-cinq ans au carnaval de Venise, est invitée à prendre part au bal de Saint-Pétersbourg en avril prochain.

My Machine Des robots interscolaires

My Machine est né en Flandre. Il a essaimé en Wallonie picarde sous l’impulsion de l’Agence de l’Eurométropole Tournai-Lille-Kortrijk et s’est concrétisé, grâce à une bourse de l’Agence pour l’entreprise et l’innovation (AEI), dans un partenariat entre la haute école provinciale de Hainaut-Condorcet, l’athénée provincial de Leuze, l’école communale de Tourpes et l’école Les Apicoliers de Kain. L’idée est simple : les futurs ingénieurs de la haute école se sont rendus dans des classes primaires pour faire émerger des idées de machines à créer, qui ont ensuite été présentées aux élèves de l’athénée. Les futurs ingénieurs ont conçu six projets de machines sous forme de plans et visualisation 3D. Les enfants de primaire en ont retenu deux et les élèves mécaniciens-automaticiens et électromécaniciens du secondaire ont collaboré à leur réalisation avec les étudiants du supérieur. Flopi, robot interactif multifonction imaginé par les élèves de Kain, permet de réaliser les devoirs de mathématiques et orthographe de façon ludique… et distribue des bonbons quand la réponse est bonne. EcoBot, robot trieur de déchet, lui, est sorti de l’imagination des enfants de Tourpes.

Incredible Edible, les jeunes donnent de la voix Cultiver l’art de vivre ensemble

Au départ, fin 2012, Incredible Edible Tournai naît de façon virtuelle. Tony Roupin, sociologue urbaniste employé au Forem, lance un groupe sur Facebook. Deux à trois cents personnes s’y inscrivent, mais la première assemblée générale ouverte à tous réunit 35 personnes. Très vite des jardins collectifs sont créés. Aujourd’hui, le groupe Facebook compte 2 500 membres et le potager collectif gère quatre jardins et quatre zones de bacs disséminées dans la ville. De plus, d’autres initiatives citoyennes et associatives ont vu le jour.  » Il y a 20 à 25 endroits et 120 jardiniers, se réjouit Tony Roupin. C’est l’effet papillon, et planter des groseilliers n’importe où dans la ville devient normal ! Le projet, pour 2016, est de consolider ce qui existe et de faire de Tournai une « ville comestible » où l’autosuffisance alimentaire se réalise dans un rayon de 50 kilomètres.  »

 » Les jeunes donnent de la voix, c’est un collectif constitué en 2014 avec l’objectif de fédérer la jeunesse derrière un projet, expose Johakim Chajia, 24 ans, né dans un quartier social et élevé par une mère seule dans une grande fratrie de six enfants. Le groupe Facebook compte plus de 8 000 membres, mais nous ne sommes que quelques dizaines à nous activer avec un investissement variable. Nous pouvons être fiers de quelque réussites : nous avons créé deux murs artistiques et un skate-park, nous avons obtenu de la Ville qu’elle aménage des espaces sportifs extérieurs accessibles gratuitement, la Maison de la culture de Tournai met gratuitement une salle de répétition à la disposition des groupes musicaux et nous permet d’organiser des show-cases… Le collectif est devenu le lieu de rencontre des différents acteurs.  »

Un dossier de Caroline Dunski, coordonné par Philippe Berkenbaum

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