Les mesures qui vont bouleverser notre quotidien

Les plans de lutte contre le terrorisme se multiplient, avec des effets très concrets. Après les attentats de Bruxelles, le gouvernement se prépare à instaurer l’état d’urgence. Et va accélérer l’adoption de bien d’autres mesures. Dont l’impact sur notre quotidien sera évident.

« Il y aura un avant et un après…  » Ces mots du Premier ministre, Charles Michel, prononcés, la voix étranglée par l’émotion, le soir même des attentats de Bruxelles, témoignent de l’impact de cette barbarie terroriste. D’un attentat à l’autre, notre quotidien évolue, peu à peu ou de façon brutale. Dans le contexte politique actuel, tumultueux, de nouvelles mesures vont être concrétisées rapidement ou vont tout simplement voir le jour, comme un très sensible  » niveau 5 de la menace  » équivalent à un état d’urgence. Des débats sensibles vont être ouverts, aussi, sur fond de dysfonctionnements de l’enquête et de malaises sociétaux. Après le 22 mars 2016, rien ne sera plus comme avant ? Voici ce à quoi on doit se préparer.

1. L’application des mesures postattentats de Paris

 » La priorité des priorités, c’est la mise en oeuvre de toutes les mesures décidées depuis l’arrivée au pouvoir de notre coalition déclare, au Vif/ L’Express, Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre. Si des failles ont pu être constatées dans la gestion de la lutte antiterroriste, bon nombre d’entre elles avaient été décelées par cette majorité et font l’objet de mesures qui suivent leur cours législatif.  »  » Il faut se concentrer sur l’application des dispositifs déjà décidés, souligne Bart De Wever, président de la N-VA. Ce serait une erreur d’annoncer de nouvelles mesures après chaque attentat.  »

Pour l’instant, c’est pourtant ce qui s’est passé. Après les attentats contre Charlie Hebdo à Paris, début 2015, le gouvernement Michel avait adopté un premier train de douze mesures, dont un grand nombre sont déjà effectives. Le déploiement de militaires sur les sites sensibles a marqué les esprits, même s’il n’a pas empêché le pire de se produire. Charles Michel a créé un Conseil national de sécurité qui réunit tous les ministres et organes concernés par la sécurité, dont la notoriété ne cesse de croître tant il doit régulièrement se réunir.

C’est de ce moment-là aussi que datent des décisions importantes, comme la pénalisation du départ vers une zone d’activité terroriste, le retrait du passeport en cas de volonté de départ ou la déchéance de nationalité en cas d’infraction terroriste.  » Ce sont des mesures que je réclamais depuis 2013 et qui auraient peut-être changé le cours des choses « , signale Denis Ducarme. De ce premier plan contre le terrorisme, il reste encore à mettre en oeuvre le plan contre le radicalisme dans les prisons, ces lieux où les délinquants se muent trop souvent en djihadistes.

Après les attentats de Paris, en novembre dernier, un autre plan, comprenant dix-huit points, a vu le jour. Il prévoyait notamment d’injecter des moyens supplémentaires (400 millions, dont 300 ont déjà été affectés) à la lutte contre le terrorisme et renforçait le dispositif militaire dans les rues. D’autres dispositions ont vu leur parcours au Parlement s’accélérer après les tout récents attentats de Bruxelles : les perquisitions autorisées 24 h/24,(aujourd’hui, elles sont interdites entre 21 heures et 5 heures, sauf certains cas d’urgence), l’extension de la garde à vue pour les actes de terrorisme ou la banque de données intelligente des combattants étrangers. » Cela doit nous permettre un meilleur échange d’informations entre l’ensemble des services de renseignements « , expose le chef de groupe MR. Une évolution indispensable au vu des manquements dénoncés par le comité P.

2. Les mesures postattentats de Bruxelles

D’autres dispositions sont en cours de finalisation comme le PNR belge.Cet enregistrement des passagers dans tous les transports (avions, TGV, bus internationaux et ferrys), permettrait de tracer les suspects.  » Nous attendons encore que l’Europe ratifie sa directive « , déclare le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA). Nos vies seront également affectées par l’extension du réseau des caméras de reconnaissance de plaques minéralogiques.L’objectif est de pouvoir traquer les suspects potentiels sur nos routes, mais le ministre de l’Intérieur n’a pas caché que cela pourrait également servir… à verbaliser les chauffards.

Pointées du doigt dans tous les médias étrangers, Molenbeek et la zone du canal font l’objet d’un plan spécifique dont le volet sécuritaire a déjà été mis en branle : en tout, 485 policiers supplémentaires sont annoncés. Quant à ces returnees qui nourrissent le flux des candidats kamikazes (120 sont pour l’instant présumés être revenus de Syrie), ils doivent faire l’objet d’un traitement particulier qui reste délicat à définir. Il est question d’une privation de liberté des foreign fighters dès leur retour en Belgique, le temps pour la justice de déterminer leur dangerosité. Plus largement, toute personne fichée par l’Ocam, l’organe d’analyse de la menace, pourrait être suivie grâce au port d’un bracelet électronique. Les modalités concrètes sont toutefois difficiles à déterminer.

Mais le plus gros débat à venir au gouvernement, c’est l’instauration de l’état d’urgence,comme il en existe un en France. Des réunions entre cabinets ministériels sont en cours pour l’inscrire dans notre droit.  » La Belgique n’est absolument pas prête à faire face à une vague de terrorisme de grande ampleur, nous disait en novembre Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel à Saint-Louis. Car notre Constitution n’a pas été modifiée sur un point vital : elle ne peut être suspendue en tout ou en partie, ce qui rend impossible dans les faits tout état d’urgence ou d’exception.  »

Selon certaines indiscrétions, il s’agirait, dans les faits, d’instaurer un niveau 5 de la menace qui permettrait de prendre des mesures particulières, dans des moments particulièrement aigus.  » Cela pourrait concerner l’instauration d’un couvre-feu dans certains quartiers,indique une source proche du dossier. Mais aussi la possibilité d’éviter des rassemblements de plus de quinze personnes, par exemple, ou des assignations à résidence avec bracelet électronique.  » Ce seraient des mesures  » temporaires et exceptionnelles garantissant la sécurité publique « .

3. La lutte sur Internet

L’union nationale politique, décrétée au lendemain des attentats mais rapidement écornée, pourrait-elle engendrer d’autres idées ?  » Nous tendons la main à la majorité, nous avons déposé toute une série de textes qui sont prêts au Parlement, et nous ne demandons même pas de copyright « , insistait Benoît Lutgen, président du CDH, au soir du 22 mars.

 » Une des priorités en matière de lutte contre le terrorisme, c’est Internet, prolonge Vanessa Matz, députée humaniste spécialisée dans ces matières. Avec Georges Dallemagne, nous avons déposé une proposition de loi pour organiser le retrait administratif de contenus illégaux faisant l’apologie du terrorisme. C’est aujourd’hui une des principales sources de recrutement des jeunes : 90 % d’entre eux rejoignent les groupes djihadistes par cette voie. Nous savons que certains sites sont laissés ouverts afin de remonter les filières, mais il faut agir. Jusqu’ici, le gouvernement ne s’est pas saisi de cette question.  » Elle fait pourtant partie des nombreux chantiers annoncés par le fédéral.

4. La coordination européenne

Un grand chantier concerne aussi la coopération européenne, au sujet duquel le gouvernement Michel doit peser de tout son poids.  » Il reste un vrai problème d’échange des données, poursuit Vanessa Matz. Et le contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen n’est effectif que pour 60 % de celles-ci. C’est un vrai problème. Et je parle ici de lutte contre le terrorisme, pas de la question des migrants !  »

Georges Dallemagne a quant à lui déposé, en janvier dernier, un texte prévoyant la création d’un Centre de contrôle systématique des returnees. Celui-ci serait composé d’une équipe pluridisciplinaire, spécialisée dans la problématique du radicalisme et du terrorisme, comprenant des représentants du parquet fédéral, de la police judiciaire, des services de renseignement, ainsi qu’un psychologue ou un psychiatre et un assistant social. Une personne de référence serait chargée de suivre individuellement le returnee durant toute la durée de son séjour. Là encore, l’idée fait son chemin.

5. Police et justice : nouvelles réformes

Les attentats de Bruxelles risquent aussi d’imposer de nouvelles réformes en matière de police et de justice, induites par les dysfonctionnements constatés. La réforme de l’Octopus, mise en oeuvre après l’affaire Dutroux à la fin des années 1990, n’a visiblement pas mis un terme aux rivalités entre les services. On devrait également reparler des peines ou des libérations conditionnelles, après le terrible constat que des kamikazes du 22 mars auraient pu être arrêtés avant de passer à l’acte. Une révision de la loi Lejeune figure au menu de la déclaration gouvernementale fédérale. La N-VA, par la voix de son vice-Premier Jan Jambon, a déjà annoncé qu’elle voulait imposer que les prisonniers prestent au minimum 4/5e de leur peine, au lieu d’un tiers actuellement. Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), évoque, quant à lui, au minimum la moitié de la peine, mais se dit ouvert au dialogue.

6. L’immigration

Après la période de deuil, les crispations renaissent dans la société et dans le débat public sur l’immigration, évidemment. Bart De Wever, président de la N-VA, a immédiatement donné le ton en se déclarant  » furieux que des gens nés ici, soient capables de tels actes, des gens qui ont été bien soignés pendant toute leur vie, mieux que partout ailleurs dans le monde « .  » De Wever prépare les conditions des prochains recrutement de l’Etat islamique « , a balayé Zakia Khattabi, coprésidente d’Ecolo.  » Il appartient à la communauté musulmane de faire sa révolution « , tranchait, sur levif.be, Jonathan Claes, un citoyen touché par les attentats.

 » Après les attentats, des gens voulaient manifester contre la peur, s’indigne Alain Destexhe, sénateur et député bruxellois incarnant la droite dure du MR. Mais ce n’est pas contre la peur que l’on devait manifester, on perd la raison, c’est contre le radicalisme islamiste !  » Dans une chronique publiée dans Le Figaro, il dénonce :  » Pendant vingt ans, la Belgique a eu tout faux.  » Au Vif/L’Express, il précise :  » Nous avons toléré pendant beaucoup trop longtemps des comportements incompatibles avec notre droit et nos valeurs. Le communautarisme constitue le terreau du radicalisme et du terrorisme.  »

Il faut faire fonctionner notre Etat de droit, insiste-t-il.  » Quand le secrétaire d’Etat, Theo Francken (N-VA), décide d’expulser un prédicateur de haine à Verviers, les procédures rendent ça pratiquement impossible. Quand un professeur de religion islamique oblige les filles à porter le voile, il est à peine mis à pied six semaines. A Bruxelles, il est grand temps d’avoir une clarification avec les élus d’origine étrangère qui tiennent un discours au Parlement et un tout autre auprès de leur communauté. Il faut arrêter la politique de l’autruche.  »

En tant que médecin, Alain Destexhe affirme que l’on doit dans un premier temps poser un diagnostic clair avant de prendre des mesures.  » Mais je suis sûr d’une chose : le modèle multiculturel prôné par Philippe Moureaux (PS) et Joëlle Milquet (CDH) a complètement explosé. Nous payons le prix d’années où il y a eu une absence totale d’intégration.  »

La N-VA a fait de ce combat son cheval de bataille.  » J’ai dit à Jan : « Tu restes et tu dois maintenant prendre comme une mission sacrée de nettoyer tout ce bazar » « , lâchait Bart De Wever à L’Echo. Invité sur les plateaux télévisés en France, Philippe Moureaux, ancien bourgmestre de Molenbeek, a une nouvelle fois démenti toute responsabilité. Reconnaissant du bout des lèvres :  » J’ai peut-être commis l’erreur d’avoir été trop prudent en matière de mixité sociale.  »

Une certitude : la lutte contre le communautarisme, le débat sur la laïcité et la gestion de Bruxelles recevront un coup de fouet après les attentats de Bruxelles.Il y aura bien un avant et un après…

Par Olivier Mouton

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