Les liens du sang

Un père violent, à jamais meurtri par l’horreur du Débarquement. Impitoyable confession que celle de Franz-Olivier Giesbert

L’Américain, par Franz-Olivier Giesbert. Gallimard, 174 p. Lire aussi : Les Héros du 6 juin, par Jean-Christophe Giesbert, Franz-Olivier Giesbert et le colonel Leonard T. Schroeder. Michel Lafon, 155 p.

Franz-Olivier Giesbert est un tueur et un onaniste. Entre autres. Dans une confession stupéfiante et éclairante à la fois, d’une impitoyable cruauté, il avoue : avoir tué des centaines de chats à coups de maillet des années durant ( » Moi, avec mes mains rouges, la mort ne me fait pas peur « ) ; s’être masturbé, adolescent, au point de ne plus oser affronter dans le miroir son visage aux orbites creusées par la fatigue ( » Ça m’a marqué à jamais la figure. Je n’ai guère changé depuis « ). Il a été violé aussi, sans en connaître tous les détails, s’étant rapidement évanoui ; il se souvient seulement qu’au réveil il est allé vomir son quatre-heures. Il s’est fait cogner par son père, enfin, plus qu’à son tour, mais moins que sa mère, qui avait droit à tous les déchaînements de la fureur du maître de maison.

Le père, donc. L’Américain. Un héros de ce 6 juin 1944 où, jeune homme de 20 ans, il débarque sur le sable rougi de Normandie, la peur au ventre. Il ne s’en remettra jamais tout à fait. Fils de famille, né à Chicago, Frédérick Giesbert n’était pas préparé à cette épreuve, dont le souvenir le hantera jusqu’à la fin de ses jours. C’est en Normandie, pourtant, qu’il passera sa vie, aux côtés d’une épouse aimante, catholique tendance sulpicienne et professeur de philo.

Peintre frustré, contraint d’accepter un boulot alimentaire dans l’imprimerie de son beau-père, Frédérick Giesbert ressassera ses haines jusqu’à plus soif : l’Amérique, l’art contemporain, l’Eglise catholique, l’Union soviétique, le plastique, le béton ou la publicité qui le fait vivre.

D’où ce déchaînement de violence.  » Pour une broutille, il aurait pu tuer ma mère sans le faire exprès, d’un coup de poing mal placé. Voilà pourquoi il était de mon devoir d’aîné de l’assassiner avant qu’il ne commette l’irréparable.  » Pendant des années, Franz-Olivier dormira avec un canif sous son oreiller. Il ne passera pas à l’acte. Frédérick Giesbert est mort d’une crise cardiaque, en 1979, aux urgences de l’hôpital d’Elbeuf. Pour la première et la dernière fois, son fils l’a embrassé. Le baiser avait un goût aigre et sucré.

Thierry Gandillot

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