Les leçons d’une catastrophe

Pouvait-on empêcher un tel bilan meurtrier sur le littoral français ? Prévisions météo, urbanisme dans les zones côtières, plans de prévention… Le tour des questions clés pour comprendre ce qui s’est passé et ce qui doit être revu.

Comment s’est formée Xynthia ?

Les tempêtes se déclenchent par la combinaison d’un courant d’air froid en haute altitude (un jet) avec une masse d’air chaud dans les couches basses de l’atmosphère. Elles se suivent sur une trajectoire à peu près identique au-dessus de l’Atlantique, à un rythme presque quotidien en hiver, mais la plupart éclatent (heureusement) en pleine mer. Durant les derniers jours de février, le  » jet stream  » était positionné plus au sud que d’habitude, à la latitude du Maroc, où s’est créée une dépression très importante qui a remonté le samedi 27 février les côtes du Portugal et de l’Espagne avant d’arriver le dimanche 28 en France. L’intensité de Xynthia, avec des pointes de vent de 130 km/h, était moins élevée que celle des deux tempêtes de 1999, où les rafales atteignaient 200 km/h. Mais elle s’est combinée, sur l’Hexagone, avec un épisode de grandes marées et des vents particulièrement violents.

La catastrophe était-elle prévisible ?

Il y a dix ans, Météo-France avait été accusée d’avoir sous-estimé l’ampleur des deux tempêtes du 26 et 27 décembre 1999, dont le bilan s’était élevé à 92 morts. A la suite de cette polémique, un programme de recherches sur les tempêtes, baptisé Fastex (Fronts and Atlantic Storm-Track Experiment), avait été lancé. Celui-ci, associant plusieurs laboratoires européens et américains, consistait à enregistrer les cycles d’évolution des dépressions entre les côtes américaines et celles de l’Europe, en les suivant à la trace avec des avions et des bateaux. Ce travail a débouché sur une base de données exceptionnelle. Grâce à ces informations, Météo-France a pu anticiper la tempête, annoncée dès le vendredi 26 à 16 heures. Les trois quarts du pays ont été placés en vigilance orange et – fait exceptionnel – quatre départements (Vienne, Deux-Sèvres, Vendée et Charente-Maritime) ont été classés en rouge, le niveau maximal. Une alerte à la crue était par ailleurs émise sur la Dordogne et la Garonne et les prévisionnistes ont clairement évoqué des  » risques de débordements de cours d’eau et de submersion au bord de l’océan « . On ne peut donc rien leur reprocher.

A-t-on tardé à réagir ?

 » Il faut qu’on s’interroge pour savoir comment, en France, au xxie siècle, des familles peuvent être surprises dans leur sommeil et être noyées dans leurs maisons « , a lancé le président français Nicolas Sarkozy, le 1er mars, lors d’une table ronde à la préfecture de La Rochelle. Pourquoi aucune évacuation n’a-t-elle été décidée après la diffusion du bulletin de Météo-France ? Pas si simple, répondent les préfets.  » J’ai signé un message d’alerte rouge samedi à 16 heures, que l’on a diffusé aux élus – ainsi qu’un communiqué de presse à l’attention de la population – après avoir reçu un bulletin météo indiquant que le niveau de vigilance passait au rouge, explique Béatrice Lagarde, sous-préfète de Vendée. Nulle part, il n’était question de submersion marine ou/et de rupture d’ouvrage. On ne peut pas fantasmer le risque et le danger. Et que faire à partir du moment où le risque est égal sur pratiquement tout le territoire de la Vendée – soit 600 000 personnes ? On les évacue où, à 22 heures, les 400 000 habitants concernés ? Dans le Sahel ?  » De son côté, Dominique Bussereau, président du conseil général de la Charente-Maritime, assure que le préfet, lui-même ancien directeur de la Sécurité civile, a  » fait ce qu’il fallait « .

Comment réduire la vulnérabilité des sites côtiers ?

La loi Littoral française de 1986 a mis en place des outils de planification de l’urbanisme. Elle instaure notamment le principe d’une bande inconstructible de 100 mètres. Celle-ci peut être étendue par le plan local d’urbanisme (PLU) si l’érosion des côtes le justifie. Les actions à mener diffèrent selon qu’il s’agit de protéger des zones depuis longtemps habitées ou des espaces ruraux en arrière-pays pouvant être inondés en cas de rupture de digue. En septembre 2007, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire publiait un bilan critique de la loi. Il signalait notamment dans sa conclusion  » la montée en vulnérabilité des territoires littoraux face à l’érosion côtière et aux événements extrêmes « . Trois ans plus tard, rien n’a changé.

Pourquoi continue-t-on à construire dans les zones inondables ?

Depuis 1999, 100 000 logements ont été construits dans ces zones sensibles sur l’ensemble de la France. Particuliers et municipalités ont aussi leur part de responsabilités. A La Faute-sur-Mer, où les habitants évoquent le lotissement de l’Ostrea, construit sur zone inondable, la préfecture était en train de mettre en place, comme à L’Aiguillon-sur-Mer, un plan de prévention des risques.  » Les maires ont hurlé à la mort, en nous expliquant que nous n’étions pas du coin, que tout cela n’avait aucun sens « , fait valoir un fonctionnaire. Plus généralement, cela fait vingt ans que le littoral vendéen connaît une urbanisation anarchique. Ce n’est pas d’hier qu’à L’Aiguillon, lors des grandes marées, de nombreuses maisons sont au-dessous du niveau de la mer. Mais les promoteurs font pression. La secrétaire d’Etat française à l’Ecologie, Chantal Jouanno, parle d’un  » combat perpétuel pour faire respecter les zones rouges  » et veut  » durcir les règles de construction en zones inondables et derrière les digues « .

Faut-il lancer un  » plan digues « , comme le réclame Nicolas sarkozy

Longue de 5 kilomètres, la digue qui a cédé à L’Aiguillon-sur-Mer datait de l’époque napoléonienne. Selon Chantal Jouanno, sur les 10 000 kilomètres de digues que compte l’Hexagone, environ 1 000 seraient à risque. Ce qui ne veut pas dire condamnés. A Noirmoutier, les travaux menés avant l’été en dépit des récriminations des écologistes (une des digues était proche d’une réserve ornithologique) ont permis à plusieurs ouvrages de tenir le choc face à Xynthia.

Où en sont les politiques de prévention ?

Pendant longtemps, la stratégie appliquée par les pouvoirs publics consistait surtout à se protéger du risque, notamment en construisant des digues. Mais, depuis quelques années, la tendance est à la  » maîtrise de la vulnérabilité « , autrement dit à la prise en compte des phénomènes naturels dans l’aménagement du territoire, non plus seulement pour les éviter mais pour adapter l’urbanisme là où ils peuvent survenir. Une loi votée en décembre 1995 a simplifié l’arsenal réglementaire et imposé aux collectivités la création de plans de prévention des risques naturels (PPR), dont celui d’inondation. Ce document, composé d’un plan de zonage élaboré à l’initiative de l’Etat – le préfet – après enquête publique, élabore des prescriptions et tente d’évaluer la vulnérabilité des personnes et des biens.

Parallèlement, une circulaire du ministère de l’Environnement recommande depuis 1994 aux collectivités locales d’élaborer un atlas des zones inondables, destiné à l’information du public, mais qui n’a pas de valeur juridique.

Le dispositif préventif est-il suffisant ?

Non. D’abord, parce qu’il ne prend en compte que les inondations  » prévisibles  » et ignore les risques liés aux événements exceptionnels et extrêmes comme celui du week-end dernier. Ensuite, parce qu’il est imposé de façon bureaucratique et un peu archaïque.  » La concertation a essentiellement été organisée en direction des maires et n’a pas concerné les occupants des zones à risque, seulement invités à participer à l’enquête publique, constate Gilles Hubert, professeur d’urbanisme à l’université de Cergy-Pontoise, au nord-ouest de Paris. Les formes d’expertise n’ont guère évolué et les solutions proposées restent très sommaires.  » Dans son rapport de 2009, la Cour des comptes a épinglé l’action de l’Etat en la matière, dénonçant une  » coordination insuffisante « , un  » manque de suivi des conséquences des catastrophes « , des procédures complexes et une absence d’évaluation des conséquences socio-économiques des risques. Malgré l’existence des PPR, la population a ainsi continué d’augmenter dans les zones inondables du département du Gard, dans le sud de la France, après les crues de 2002, au même rythme que dans les zones  » sûres « .

Une autre vision stratégique s’impose-t-elle ?

Pour la fédération d’associations France nature environnement (FNE), au vu des prévisions du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) annonçant une élévation du niveau de la mer de 1 mètre d’ici à la fin du siècle, le scénario Xynthia pourrait bien se répéter. Il est donc urgent de définir une carte fine des risques d’inondation et de submersion.  » Carte qui sous-tendra un plan stratégique national, régional et local concerté, explique Christian Garnier, vice-président de FNE et copilote des questions mer et littoral. On peut aussi choisir la stratégie du repli vers l’intérieur des terres, comme aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, en laissant par exemple des marais maritimes se recréer en arrière des dunes. « 

La tempête aura- t-elle un impact sur les élections régionales ?

Les tempêtes de décembre 1999, survenues en pleine période de cohabitation, avaient donné lieu à une surenchère au sommet de l’Etat. Le 28, à peine Lionel Jospin, alors Premier ministre, s’était-il rendu sur les lieux que Jacques Chirac intervenait à la télévision :  » Au nom de la nation tout entière, je voudrais exprimer, à toutes celles et à tous ceux qui souffrent, sympathie et compassion. « 

Rien de tel cette fois. François Fillon a tenu une réunion d’urgence à Matignon, dès le 28 février après-midi, avant que, le lendemain, Nicolas Sarkozy ne se rende à L’Aiguillon-sur-Mer. A quinze jours du premier tour des élections régionales, qui s’annoncent mauvaises pour la droite, les responsables politiques sont néanmoins attendus au tournant. Ségolène Royal, présidente (PS) de l’une des régions les plus touchées, Poitou-Charentes, et son principal adversaire, Dominique Bussereau, président (UMP) du conseil général de la Charente-Maritime, ont rivalisé de courtoisie, la première téléphonant  » de façon très sympathique  » au second.

L’empathie dont font preuve les élus peut se révéler payante. En août 2002, le chancelier allemand, Gerhard Schröder, donné battu dans les sondages, avait inversé la tendance à la veille des législatives. Confronté à de terribles inondations en Bavière et en Saxe, il avait endossé son rôle préféré : celui de l’homme qui sait affronter les crises.

Gilbert Charles, éric Mandonnet, marianne payot Et Richard de Vendeuil

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