Les juges ont la main

Les électriciens, fâchés d’avoir dû payer 250 millions d’euros à l’Etat en 2008, ont demandé l’annulation de cette taxe devant la Cour constitutionnelle. L’avis de celle-ci sera déterminant pour la taxe à nouveau réclamée en 2009.  » Les électriciens pourraient l’emporter sur le principe, sans être remboursés pour autant « , explique Christian Behrendt, professeur de droit constitutionnel à l’ULg.

Le Vif/L’Express : La taxe imposée aux électriciens a-t-elle des précédents qui rendent crédible la thèse selon laquelle ceux-ci obtiendraient gain de cause devant la Cour constitutionnelle ?

> Christian Behrendt : Oui. En 2006, l’Etat avait imposé une contribution unique de 100 millions d’euros au secteur gazier, plus précisément aux sociétés qui détenaient une part de marché supérieure à 30 %. Distrigaz a alors introduit un recours auprès de la Cour constitutionnelle, qui a annulé la loi, la jugeant discriminatoire, tout en en maintenant les effets. Autrement dit, la taxe déjà payée par les gaziers ne leur a pas été remboursée. Je ne vois pas pourquoi les mesures prises à l’égard du secteur électrique aujourd’hui trouveraient davantage grâce aux yeux de la Cour.

Où est l’intérêt d’un tel avis, s’il ne s’accompagne pas d’un remboursement ?

> Il a valeur d’avertissement pour le gouvernement et pour le législateur. A la longue, si de semblables démarches se multiplient, la Cour pourrait annuler aussi les effets du passé, donc réclamer le remboursement des taxes payées et considérées comme discriminatoires. Mais il faut savoir que la Cour tient compte des effets que sa décision pourrait avoir sur la stabilité budgétaire du pays…

Quelle était l’argumentation développée pour s’opposer à la taxe imposée au secteur du gaz, en 2006 ?

> Essentiellement son caractère discriminatoire : pourquoi ce montant ? Pourquoi ne taxer que les sociétés détenant plus de 30 % des parts du marché, pourquoi ne pas exiger un montant proportionnel à leur taille pour les entreprises plus petites, etc.? Le fait est aussi que le secteur du gaz est tellement petit que les entreprises visées étaient d’emblée connues. Or la loi doit avoir un caractère général. La plupart de ces remarques restent pertinentes dans le cadre du conflit actuel entre l’Etat et les électriciens.

La Belgique étant tellement petite, il y a plusieurs secteurs économiques dans lesquels le nombre d’acteurs est limité. Est-ce à dire que le gouvernement ne pourrait jamais envisager de les taxer, de peur de les viser nominativement ?

> Non. Le gouvernement peut parfaitement imposer une taxe à un secteur dans lequel il n’y aurait qu’un seul contribuable visé. En 1949, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt qui validait la taxe imposée par la commune de Forest à toutes les brasseries situées sur son territoire. Or il n’en existait qu’une, à l’époque, la brasserie Willemans-Ceuppens. Dans le cas de la taxe imposée aux électriciens, le malaise provient du fait que l’on a l’impression que le gouvernement cherche d’abord désespérément à boucler son budget, qu’il a ensuite trouvé un secteur riche et qu’il a enfin élaboré une taxe pour le frapper. Si l’on parvient à prouver qu’il y avait une intention malicieuse d’emblée et que l’objectif était de ponctionner un secteur, alors la Cour s’opposera à la mesure. Mais c’est très difficile à prouver.

Comment expliquer, au vu de la position de la Cour constitutionnelle en 2006, que le gouvernement ait remis le couvert, sans, semble-t-il, tirer de leçon ?

> Le gouvernement peut avancer divers arguments, comme l’importance de la crise, l’excellente santé financière du secteur de l’énergie, le fait qu’il vise non plus le secteur du gaz mais celui de l’électricité, le rallongement de la durée de vie des centrales, etc. De belles plaidoiries en perspective…

ENTRETIEN : LAURENCE VAN RUYMBEKE

Même si la taxe est annulée, l’État ne devra pas forcément la rembourser

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