Les journalistes et la Chambre du secret

Quelle différence y a-t-il entre un problème de santé et le journalisme ?… Aucune ! Dans les deux cas, toutes les bonnes volontés seront toujours prêtes à vous donner un avis pour résoudre vos problèmes. Et dans les deux cas, certaines prescriptions, moins avisées, risquent d’avoir des conséquences catastrophiques. Les récentes mésaventures du secret des sources journalistiques à la Chambre font immanquablement penser à cette boutade.

Le secret des sources est un élément essentiel de la fonction démocratique du journalisme. Pour exercer son activité de contrôle, le quatrième pouvoir doit pouvoir taire ses sources. Sans cette garantie, il est évident que nombre de personnes préféreraient se taire, par crainte de conséquences diverses, alors que les faits qu’elles permettent de mettre au jour recèlent un intérêt démocratique. Les rapports entre la presse et la justice belges ont été fréquemment marqués par une opposition radicale entre ce principe déontologique essentiel du journalisme et son mépris répété par la jurisprudence belge. Cette dernière s’opposait ainsi à la jurisprudence européenne, incarnée par le fameux arrêt Goodwin. En Belgique, les journalistes qui, tout en voulant respecter leur déontologie, refusaient de livrer leurs sources, risquaient donc perquisitions, voire emprisonnement…

Deux députés, Geert Bourgeois et Olivier Maingain, ont fort judicieusement estimé qu’il convenait de légiférer. Leurs deux propositions ont fini par se fondre en un même texte, adopté à l’unanimité par la commission de la justice de la Chambre. Il ne faut pas bouder son bonheur… Ce texte marque un progrès essentiel. En son article 3, il affirme que  » tout journaliste a le droit de taire ses sources d’information « . Par contre, cette proposition de loi, qui devra être soumise au Sénat, suscite de nombreuses réserves.

Après que des experts et des professionnels eurent été entendus, ce texte surprend parce qu’il laisse poindre une perception approximative de la définition et du rôle des journalistes. Depuis des années, d’une part, on ne cesse de déplorer que, par manque de moyens notamment, mais aussi en raison d’un cadre culturel et légal propre, la presse belge se montre bien peu investigatrice. Il est difficilement contestable que cette fonction journalistique participe de la démocratie moderne. Or la proposition de loi définit le secret des sources en le restreignant par des critères qui peuvent sembler dangereux, tant pour la pratique de l’investigation que pour l’expression des opinions. Selon ce texte, le principe du secret devrait ainsi connaître des exceptions, notamment pour atteinte à la sécurité de l’Etat. L’intention se comprend dans un contexte de menaces terroristes. La formulation est cependant trop vague et pourrait étendre l’exception à des situations de manifestation d’opinions contraires aux intérêts de représentants de l’Etat. On pense ainsi aux syndicats ou à des mouvements contestataires…

D’autre part, on s’est encore récemment ému du progrès, en notre pays, de pratiques médiatiques relevant du sensationnalisme. Ainsi, la couverture du procès Dutroux a laissé poindre des choix rédactionnels motivés par des promesses de rentabilité. Elle a également été l’occasion, pour une presse britannique confidentielle, mais éditée en Belgique, d’oser publier des pièces délicates du dossier d’instruction et de manquer, de manière abjecte, au principe de respect des victimes et de leurs proches. Ce contexte attire, une nouvelle fois, l’attention sur l’urgence qu’il y a à mettre en place des mécanismes, légaux et déontologiques, qui permettent au public de percevoir quand une information lui est proposée par un mode de production démocratique exigeant, soucieux de ses devoirs vis-à-vis du public et non des seuls impératifs de rentabilité.

La proposition de loi est contre-productive de ce point de vue parce qu’elle définit la fonction journalistique de manière beaucoup trop floue, en visant toute personne traitant l’information sous forme de communication régulière au public. Ceci permet de faire bénéficier les stagiaires, les correspondants ou les collaborateurs du secret des sources ; ce qui est essentiel. Mais ne pas définir la fonction d’information permet aussi qu’un publicitaire, un communicateur de lobby ou de parti, démocratique ou non, qui recourraient à des publications régulières û qu’on pense au contenu prétexte qui peuple les toutes boîtes publicitaires û bénéficient du secret des sources. Ce flou est dommageable, au moment où la pression des communicateurs ne cesse de peser de plus en plus lourdement sur la pratique journalistique.

La proposition étend également le secret à l’information elle-même, et non pas au seul informateur. Cette définition large est utile aux journalistes. Mais sans apporter plus de nuances sur des procédures intermédiaires, telles que la production de documents dont on aurait ôté tout élément permettant d’identifier la source, on peut se demander si, sans le vouloir, on n’apporte pas ainsi de l’eau à la rhétorique de la presse à sensation. Celle-ci s’empressera d’user de ce secret des sources étendu, pour refuser d’expliciter ses méthodes et justifier ainsi approximations et contrevérités.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

Par Benoît Grevisse,

Une proposition de loi restreint le secret des sources par des critères, comme la sécurité de l’Etat. Danger

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