Les instantanés frelatés de Jeff Wall

Zoom rapproché sur les photographies de Jeff Wall au palais des Beaux-Arts. A cette occasion, le Canadien a placé en regard de ses ouvres celles de grands artistes ayant influencé sa création.

Redéfinissant constamment les paradigmes de la photographie, Jeff Wall (1946) s’emploie depuis la fin des années 1970 à donner à cette pratique artistique une place analogue à celle de la peinture. D’ailleurs, ses  » tableaux photographiques  » font souvent référence à de grands classiques directement empruntés à l’histoire de l’art.

A mille lieues du banal instantané, ses clichés sont le fruit de mises en scènes minutieusement calculées. L’artiste ne s’en est jamais caché. Recrutant des acteurs pour prendre la pose, Jeff Wall fait aussi appel à des experts en effets spéciaux pour reconstruire, le plus fidèlement, la réalité. Son objectif ? Donner l’illusion de la photographie documentaire. Pari réussi ! On est souvent loin d’imaginer que ses clichés résultent de nombreuses prises de vue patiemment assemblées.

Dans The Crooked Path, Jeff Wall fige un terrain vague, une fraction de nature écrasée par une urbanisation galopante. Sillonnant la composition, un chemin tortueux mène à des entrepôts. Une triste perspective qui s’accompagne d’un je-ne-sais-quoi de sinistre. Plane ici un parfum de crime. Où le cadavre est-il caché ? A l’arrière des trois petites constructions colorées ? L’assassin traîne-t-il dans les parages ? D’abord insignifiant, le sentier sinueux revêt pourtant un symbolisme tout particulier : il incarne la liberté et l’inventivité de l’homme pour arriver là où il veut aller. L’intitulé de l’exposition, The Crooked Path, peut aussi être envisagé comme une métaphore du processus créatif et des différentes directions tracées par Jeff Wall lui-même.

Emblème de l’exposition, The Thinker dévoile les blessures rencontrées par l’homme moderne. On y observe un personnage isolé, assis sur un tabouret improvisé, contemplant d’un air résigné la zone industrielle à ses pieds. Le titre et l’attitude évoquent sans détour Le Penseur de Rodin. Mais ce n’est pas l’unique référence à l’histoire de l’art. La pose rappelle également la Bauernsäule de Dürer. Cette £uvre représente un paysan assis dans une position analogue sur une colonne d’éléments agricoles, une baïonnette plantée dans le dos. L’aviez-vous remarqué dans le cliché de Wall ? L’homme n’est pas (encore) mort, il réfléchit à la direction que semble prendre le monde. Une allégorie de la désillusion et de l’échec.

Non chronologique, le parcours proposé insiste sur les grands sujets au centre des préoccupations de l’artiste. Vingt-cinq clichés – réalisés entre 1970 et aujourd’hui – que Jeff Wall a lui-même sélectionnés, dialoguent avec des £uvres de grands artistes l’ayant influencé. Naissent instantanément des dialogues éclairants…

Jeff Wall, The Crooked Path, palais des Beaux-Arts, 23, rue Ravenstein, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 11 septembre. www.bozar.be

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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