Les  » Flagadas  » se dégonflent

Fini, les dégonflements de pneus ! Après trois mois de raids nocturnes sur les véhicules 4 X 4, les  » Flagadas  » changent de stratégie. Mais les conducteurs de voitures tout-terrain auraient tort de se réjouir trop vite

(1) Une association environnementale sans liens avec les  » Flagadas  » vient de se créer, axée spécifiquement sur les 4 X 4 : http://www.4X4info.be

Terminées, les nuits de  » dégonfle généralisée  » ! Après cinq raids menés avec succès dans la capitale, les Flagadas – un petit commando d’anti-4 X 4 – ont décidé de lever le pied : entamée à la Noël, leur trêve des confiseurs va se prolonger pour une durée  » indéterminée « . C’en est fini, donc, de ces scènes de conducteurs furieux, découvrant que leur imposant véhicule tout-terrain, faute d’air dans deux de ses pneumatiques, affiche un sérieux penchant pour le trottoir.

Mais les guérilleros de l’asphalte n’ont pas poussé leur dernier soupir. Au rayon des expéditions annoncées pour les prochaines semaines, le maculage des véhicules avec de la boue reste en bonne place. Pas de changement, non plus, dans les précautions : la boue continuera à être soigneusement tamisée, afin d’éviter qu’un caillou inopportun laisse un vilain souvenir sur la carrosserie. Au menu, également : l’apposition discrète d’un autocollant à côté de la plaque minéralogique arrière. Sur celui-ci, un message raffiné ( » Je pue du c… « ), censé rappeler à tous le surcroît de pollution générée par les véhicules lourds et, au passage, ridiculiser le conducteur inattentif.

 » Cet autocollant offrira de la distraction aux gens situés derrière le véhicule visé, bloqués dans les embouteillages « , souligne, facétieux, l’homme qui répond au pseudonyme de Benoît Catfoicat, entouré de deux de ses compères dans un bistrot bruxellois. Car c’est bien cela, les Flagadas : une quinzaine de joyeux iconoclastes actifs à Bruxelles, pas vraiment décidés à jouer aux héros ( » Nous sommes des dégonflés : pas question d’affronter directement les conducteurs furax… « ), plongés dans la vie active (ils ont entre 25 et 35 ans) et ne crachant pas sur un certain folklore d’autodérision : adoration du Grand Jojo (pour sa chanson sur le  » Sergent Flagada « ) , distribution de médailles en chocolat, courses aux records pour rivaliser avec les dégonfleurs français, etc. Sans oublier leur adresse électronique (annicktamere@gmail.com) qui, au mieux, évoque un pied de nez lancé par d’éternels adolescents aux adultes bien rangés.

Vraiment pas sérieux, les Flagadas ? C’est bien ce problème d’image qui, aujourd’hui, les incite à abandonner le dégonflement des pneus. Pendant trois mois, leurs actions nocturnes, relayées par la presse quotidienne et abondamment commentées au café du commerce, ont animé le débat sur la place des 4 X 4 en ville. Mais le vent tourne.  » Nous nous sommes fait suffisamment remarquer, explique l’un d’eux, surnommé Bibendum. Les gens n’ont retenu que le côté spectaculaire de nos actions. Il est temps, maintenant, de s’intéresser au débat de fond, c’est-à-dire à l’omniprésence de la voiture en ville, symbole de la surconsommation, de l’individualisme et du gaspillage énergétique. Les 4 X 4 ne sont que la pointe de l’iceberg.  » Voilà bien leur souci : ne plus apparaître uniquement comme des  » zigotos folkloriques, un brin délinquants « .

A première vue, les termes du débat de fond n’ont pas varié. Après avoir quadruplé en dix ans (passant de 8 766 véhicules, en 1996, à 35 980, en 2004), le nombre de 4 X 4 immatriculés dans notre pays a encore augmenté de près de 2 000 unités l’année dernière. Parmi eux, une proportion croissante de véhicules urbains destinés au transport de personnes, alors que l’appellation  » véhicule utilitaire  » doit théoriquement les affecter au transport de marchandises. Les mouvements écologistes jugent ces voitures gourmandes en espace et, surtout, en carburant, à l’heure où la pollution en CO2 par le transport est considérée, partout en Europe, comme le point noir de la lutte contre le réchauffement climatique.

Dans le camp d’en face, on évoque le droit de conduire le véhicule de son choix, la nécessité de confort et de sécurité, voire de santé ergonomique, pour le chauffeur. Autres arguments entendus : n’est-il pas vain de s’en prendre aux 4 X 4, alors que d’autres véhicules puissants et/ou volumineux s’avèrent au moins aussi gloutons – donc polluants – que les tout-terrain ? Sur quelle base, du reste, pourrait-on les interdire en ville ? Leur cylindrée ? Leur traction ? Leur taille ? Leur chargement ? Et avec quels moyens de contrôle ? Quant aux méthodes utilisées par les Flagadas, elles ont fait les choux gras des courriers des lecteurs :  » gamineries « ,  » intimidations antidémocratiques « ,  » terrorisme aveugle « , etc.

Depuis le 1er janvier dernier, la donne a partiellement changé. Le législateur a comblé le vide juridique qui, chez nous, permettait à une majorité de propriétaires de 4 X 4 d’échapper au paiement de la taxe de mise en circulation. L’avantage fiscal était loin d’être négligeable : environ 2 500 euros ! Pour être dispensé de cette taxe, le véhicule devra dorénavant disposer d’une zone de chargement de marchandises équivalente à 50 % de l’empattement (soit la distance entre les deux essieux), au lieu de 30 % auparavant. Avec une telle modification, le classement des véhicules 4 X 4 et/ou tout-terrain dans la catégorie des véhicules utilitaires légers, dispensés de la taxe, sera plus difficile. La taxe annuelle de circulation sera, elle, sensiblement revue à la hausse.

 » Idiots « 

Mais les Flagadas craignent que ces nouvelles dispositions soient contournées à l’avenir. Ou, ce qui est plus probable, que la correction de cette incongruité fiscale arrive trop tard pour infléchir le succès populaire des véhicules 4 X 4. Trois mois après leurs premiers faits d’armes, le rêve de ces militants de la mobilité douce consiste à dénicher le ministre ou le bourgmestre qui, comme le maire de Londres, n’hésiterait pas à qualifier en public les conducteurs de 4 X 4 d' » idiots « . Autre espoir : pousser nos édiles urbains à voter une motion, comme celle de Paris ou de Dijon, appelant (sans contrainte) à décourager la présence de tels véhicules dans les artères des grandes villes.

Noyée dans le combat des associations environnementales classiques (1), l’action des Flagadas est-elle vouée à l’essoufflement ? Ces chevaliers blancs des aires de stationnement ne manquent pas d’humour ni d’arguments empruntés aux agences d’environnement et aux organismes de sécurité routière les plus indépendants. De là à dire que leurs méthodes ont convaincu ceux qui, précisément, devraient l’être…

Philippe Lamotte

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