Les fantômes de la rue du Commerce

Déjà nostalgique des soldes ? Période bénie et temps fort du  » commerce philanthropique « , inventé par les stratèges du marketing. Alors, le bénéfice va à l’acheteur et la reconnaissance, au vendeur. La tractation financière, prosaïque, se love en arrière-fond, toute trivialité estompée. A l’avant-plan est campé, de toute sa hauteur, le profit octroyé à l’acheteur. Plutôt que métal sonnant et trébuchant, ce gain fait songer à un fantôme qui ensorcelle, subjugue, intrigue et séduit.

 » Fantôme, mon ami, d’où te vient ce pouvoir ? Comment, évanescent, parviens-tu à avoir sur l’esprit rationnel une telle influence que, sans attendre plus, dans l’achat on se lance ?  »

Ici hulule le fantôme du troisième article gratuit. Au détour d’un rayon, il surgit d’un slogan tapageur et fluorescent. Il a tant de charisme que vous l’embarquez, lui, mais aussi ses deux jumeaux, dans votre Caddie. Votre liste ne les incluait pas. Vous venez d’obéir au spectre du profit, puisqu’il n’y en a pas de petit.

Une allée et deux pas plus loin, de son présentoir ostentatoire, un fantôme mexicain invite au voyage : votre bulletin – servez-vous ! – paré des codes-barres soigneusement découpés aura toutes ses chances dans le tirage, organisé deux mois plus tard pour tous ceux qui n’auront pas perdu, laissé déchirer par le chien, ou oublié de renvoyer ledit bulletin. Et le fantôme au visage basané de vous confier délicatement plusieurs produits de la même marque, sans rapport avec les projets initiaux du futur voyageur que vous êtes.

Pour mon ami Herménégilde, le fantôme a pris un autre visage : celui, transparent et attirant, d’un verre à vin. Collectionner les timbres distribués en proportion des dépenses, c’est obtenir des verres gratuits. Après clôture de la distribution des timbres, le collectionneur garde la possibilité d’obtenir son dû pendant deux mois. Tranquille… Mais, surprise, les verres sont devenus fantomatiques. Le nombre d’amateurs les fait disparaître comme par enchantement. Herménégilde s’inquiète. On le rassure : tous les mercredis matin, son magasin reçoit un lot de verres. Entre 9 et 10 heures, ils sont bien réels. A 10 heures, il n’y en a plus. Heureusement, Herménégilde connaît ses droits aux congés pour des raisons de conve- nance personnelle.

Parmi bien d’autres, un dernier fantôme, stratège ingénieux, mérite l’attention : c’est l’article en promotion qui n’est plus de stock. Vous le commandez, vous en avez le droit. Vous serez prévenu dès son arrivée. Il n’arrive pas. Ou on ne vous prévient pas. Une ou plusieurs fois, l’article fantôme vous ramène au magasin, où, par hasard, vous ferez quelques emplettes.

Faut-il pour autant se laisser envahir par la terreur ? Non, car la confrérie des fantômes compte autant de monstres gentils que de malfaisants. Extraterrestres, et donc assez autonomes face à leurs employeurs, ils vous refileront au passage des tuyaux sur les magasins bons à hanter, voire sur le commerce équitable. L’espoir est permis de devenir un acheteur compétent grâce au commerce des fantômes. l

François-Xavier Druet

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