» Les étoiles sont nos ancêtres « 

Depuis qu’il a fait d’Einstein son auteur de chevet,  » TXT « , 62 ans, ne se lasse pas de contempler l’Univers. En astrophysicien, découvreur de I Zwicky 18, la plus jeune des galaxies. En lettré passionné de considérations cosmologiques et philosophiques. En vulgarisateur aguerri, dispensant sur son campus de Charlottesville (Virginie) un cours d’astrophysique pour les poètes. D’origine vietnamienne, élevé  » à la française « , formé outre-Atlantique, c’est d’émotions, de beauté cosmique et de métaphysique que cet auteur prolixe, pétri de bouddhisme et de confucianisme, adore parler. Pour dire que nous sommes tous poussières d’étoiles. Que d’autres, ailleurs, tentent sans doute de décrypter la mélodie sans fin du cosmos. Que la création de l’Univers ne doit peut-être rien au hasard.  » Un point de vue métaphysique « , reconnaît l’intéressé dans son dernier ouvrage à paraître en septembre chez Albin Michel, Le Cosmos et le Lotus.

Le Vif/L’Express : Le week-end dernier, la Nuit des étoiles a vu passionnés et néophytes pointer le nez vers le firmament. Comment vivez-vous ce type de rendez-vous ?

Trinh Xuan Thuan : C’est une excellente initiative. Il faut éveiller la conscience des jeunes aux mondes qui sont au-delà de notre Terre et à la beauté de l’Univers. Pas besoin d’un grand télescope pour ressentir la fantastique émotion que procure l’observation du ciel. On peut très bien admirer la beauté des quatre lunes les plus grosses de Jupiter, découvertes par Galilée, ou la poésie des anneaux de Saturne avec un petit télescope d’amateur.

C’est vrai ! On ignore tout de 96 % de son contenu. La matière lumineuse dans les centaines de milliards de galaxies observables n’en constitue qu’un demi pour cent ! Ça nous remet à notre place. Malgré toutes les connaissances acquises, nous vivons dans un Univers-iceberg dont on ne voit que la partie émergée. On parle beaucoup de cette mystérieuse énergie noire responsable de l’accélération d’un Univers composé, pour une part, de quelque chose qui n’émet aucune lumière visible, mais exerce de la gravité et qu’on appelle matière noire. Elle serait constituée d’une infime proportion de protons et de neutrons, comme vous et moi – les astrophysiciens parlent de matière noire  » ordinaire « , qui cohabite avec une matière noire  » exotique  » dont on ne connaît aucunement la nature !

A quelle échéance pourrait-on avoir un commencement de réponse ?

Je ne pense pas qu’on puisse établir un calendrier. Je place beaucoup d’espoirs dans l’accélérateur de particules du Cern, à Genève, le Large Hadron Colliter (LHC). Grâce à cette machine, on va reproduire l’énergie et les conditions physiques de l’Univers quand celui-ci était âgé de seulement un millième de milliardième (10 puissance -12) de seconde après le big bang. De quoi remonter le temps et reconstituer l’histoire de nos origines presque jusqu’à la naissance de l’Univers !

Votre dernier ouvrage, Le Cosmos et le Lotus, est sous-titré  » Confession d’un astrophysicien « . Pourquoi ?

Ce manuscrit est sans doute le livre le plus personnel que j’aie écrit jusqu’à présent. Notamment parce que j’y aborde pour la première fois mon parcours de Vietnamien élevé dans la tradition bouddhiste et confucéenne et qui, après avoir fait toutes ses études en français à Saïgon, est finalement devenu astrophysicien aux Etats-Unis. Et puis, à 60 ans passés, c’est le moment de faire la synthèse des idées métaphysiques que j’ai pu développer au travers de mes recherches sur l’évolution des galaxies. Parce que je suis au confluent de trois cultures, je vois des connexions que d’autres ne remarqueraient peut-être pasà

D’où les considérations philosophiques qui émaillent votre propos ?

Absolument. Pour faire court, on peut dire que la cosmologie s’interroge sur le destin de l’Univers. Aristote pensait que ciel et terre étaient réglés par des lois différentes et que le ciel, domaine des dieux, devait être parfait et immuable. Cette vue a prévalu jusqu’à la Renaissance, quand l’astronome danois Tycho Brahe, voyant une comète apparaître dans le ciel, fit valoir qu’il était impossible que le ciel ne change jamais. Désormais, on sait que l’Univers a une histoire, un début – le fameux big bang -, un présent et un futur. Qui plus est, au XXe siècle, l’avènement de la mécanique quantique, une révolution de la pensée, a balayé toutes ces visions réductionnistes. Son principe d’incertitude – les données concernant une particule élémentaire seront toujours incomplètes – ouvre de nouveaux horizons. Pour peu qu’on renonce au vieux rêve humain du savoir absolu !

Et vous y avez renoncé ?

A priori, le scientifique ne renonce jamais à chercher la vérité ultime. Mais je pense qu’on n’arrivera jamais au bout du chemin ! Dès qu’on résout une question, mille autres se présentent. Dès qu’on approche du but, celui-ci recule. C’est parce que je ressens l’ineffable mystère du monde que je fais de la science ! Et puis, il y a toutes les implications philosophiques de cette activité, ses émotions aussi.

Quelles émotions vous ont le plus marqué ?

La recherche est une continuité d’émotions ! Chaque image reçue du télescope spatial Hubble est une grande émotion. Parce qu’on se demande, à partir de là, quel pan de mystère de l’Univers va être révélé. Se confronter à l’inconnu, à ce qui est au-delà du connaissable, est une émotion. Recueillir, via un télescope, cette lumière partie il y a des milliards d’années, avant même que les atomes de mon corps ne soient fabriqués, me remplit d’émotion.

Le président Obama veut mettre le cap sur l’espace profond. Qu’en pensez-vous ?

Aller explorer des astéroïdes, c’est bien. Mais je suis très inquiet quant au manque de financement pour certains grands projets. On vient d’annoncer que le James Webb Telescope, qui doit succéder à Hubble aux alentours de 2018, risque de ne pas voir le jourà J’espère que la communauté scientifique va exercer un lobbying efficace pour faire revenir le Congrès américain à de meilleurs sentiments, sinon c’est catastrophique pour l’astronomie. On peut espérer que les missions robotiques vont permettre, à terme, de revenir sur Mars, où il y avait de l’eau – donc peut-être de la vie sous forme de micro-organismes présents dans les calottes glaciaires. C’est essentiel pour connaître le chaînon manquant, pour savoir comment la vie a surgi sur Terre. Comment, à nos origines, il y a 3,8 milliards d’années, on est passé des poussières d’étoiles à la première cellule vivante. Les micro-organismes martiens auront-ils le même ADN que nous ? Il faut aussi aller voir du côté d’Europe, une des quatre grandes lunes de Jupiter, où il y a également de l’eau. Et puis explorer un site déjà visité par la sonde spatiale Huygens : Titan, lune de Saturne. Son atmosphère contient du méthane et de l’éthane, comme la Terre primitive, il y a plus de 4 milliards d’années.

Pourquoi parler de  » poussières d’étoiles  » ?

Parce que tous les éléments lourds contenus dans nos corps ont été fabriqués par les étoiles. Elles sont nos ancêtres. L’histoire de l’Univers est celle de nos origines. Toute cette épopée cosmique de près de 14 milliards d’années débouche sur nous, les humains. Retracer la saga de l’Univers, c’est reconstituer notre propre généalogie cosmique. Mettre le nez dans les étoiles, c’est poser un autre regard sur soi-même. Einstein disait :  » Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible !  » En fait, il s’extasiait sur notre aptitude – unique – à comprendre l’Univers. Est-elle pur accident ou la conséquence d’une intime connexion cosmique entre l’homme et le monde ?

D’autres, ailleurs, pourraient-ils avoir cette  » aptitude  » à déchiffrer l’Univers ?

Oui ! Il existe des centaines de milliards de galaxies observables, chacune contenant des centaines de milliards d’étoiles. Si chaque étoile est escortée d’un cortège de dix planètes, il paraît invraisemblable que la Terre soit la seule planète à héberger la vie. Il devrait donc y avoir des intelligences extraterrestres qui contemplent aussi l’Univers.

L’Univers est-il né d’un hasard ?

Il y a une formule qui, de mon point de vue, résume les choses. Elle est de Freeman Dyson, un physicien anglo-américain, et dit que l' » Univers savait quelque part que l’homme allait venir « . C’est un résumé de ce qu’on appelle le  » principe anthropique fort « . Pour le comprendre, il faut savoir que toutes les propriétés de l’Univers sont déterminées par des constantes physiques – une quinzaine de nombres comme la vitesse de la lumière. S’y ajoutent des conditions initiales, ces propriétés dont les fées l’ont doté à son berceau – quantité d’énergie noire, taux d’expansion de l’Univers. Tout cela détermine la totalité de ce que nous voyons, de la taille et la forme des galaxies à celles des montagnes ou des hommes. Or, en réalisant diverses modélisations informatiques, on s’est aperçu qu’en changeant un tant soit peu un de ces paramètres les étoiles massives ne se formaient plus. Qu’il n’y a donc plus les éléments lourds nécessaires à la vie et à la conscience. Finalement, la seule combinaison gagnante est celle du réglage que nous connaissons sur Terre – puisque nous sommes là pour en parler ! C’est cela le principe anthropique.

Un principe dont vous tirez un enseignement philosophiqueà

Métaphysique surtout. La formule de Dyson traduit l’idée qu’il y aurait, dès le début de l’Univers, comme une  » intention  » – je mets le mot entre guillemets. Dans le milieu scientifique, on perçoit toute référence à un réglage de l’Univers comme une démarche suspecte. Moi, je pense qu’il s’agit d’un champ métaphysique : on doit choisir entre le hasard et la nécessité. Attention ! Ce n’est pas la science qui peut répondre à cette question. Il faut faire une sorte de pari pascalien. Pour certains collègues, le hasard prévaut. Ils pensent qu’il pourrait exister une infinité d’univers parallèles, un  » multivers « , où la combinaison des constantes physiques et des conditions initiales se révèle perdante. Ces univers parallèles seraient tous vides et stériles, alors que le nôtre aurait, par hasard, décroché la combinaison gagnante. Personnellement, je parie sur un  » principe créateur « , qui a réglé l’Univers dès son début. Pour moi, il ne s’agit pas d’un Dieu personnifié qui crée ex nihilo l’Univers, mais d’un principe panthéiste omniprésent dans la nature, tel que l’entendaient Spinoza et Einstein. Mais, encore une fois, c’est là un choix métaphysique que la science ne peut démontrer. Cela dit, je m’insurge contre le postulat d’une existence d’univers parallèles sans jamais pouvoir les observer ! Les évoquer relève aussi de la métaphysique puisqu’ils sont à jamais invérifiables. Quand je regarde dans mon télescope, j’ai du mal à penser que toute cette beauté, l’harmonie que je contemple, n’est que hasard et que rien n’a de sens. Que l’homme a émergé par hasard dans un Univers qui lui est complètement indifférent.

Cette vision des choses est-elle influencée par votre éducation bouddhiste ?

Elle colore très probablement mes préjugés métaphysiques. Je suis convaincu qu’on ne peut se satisfaire de la seule science pour décrire le réel. Ce serait trop arrogant. La spiritualité est une approche complémentaire de la science. Parce qu’ils sont deux systèmes logiques de pensée, bouddhisme et cosmologie scientifique convergent. Les principes bouddhiques d’interdépendance, où tout est interconnecté, et d’impermanence, où tout est changement perpétuel, sont en phase avec les observations du cosmologue. Celui-ci constate, par exemple, que nous partageons tous la même généalogie cosmique, que l’Univers est en constante évolution. Les étoiles naissent, vivent leur vie et meurent comme les êtres humains, non sur des échelles de temps d’une centaine d’années, mais sur des millions, voire des milliards d’années.

PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD DE VENDEUIL PHOTO : BRUNO CHAROY POUR LE VIF/L’EXPRESS

 » Chaque image reçue du télescope Hubble est une grande émotion  »  » Je suis convaincu qu’on ne peut se satisfaire de la seule science pour décrire le réel « 

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