Les enfants du  » minimex « 

Quel point commun entre Yves, l’ado battu et toxico, et Vincent, le licencié en communication sur le point de décrocher un emploi ? Rien. Si ce n’est qu’ils bénéficient d’un revenu d’intégration. Comme de plus en plus de jeunes

(1) Aan de rand van de actieve welvaartsstaat (Au bord de l’Etat social actif), chez Academia Press.

A 18 ans, Yves a quitté la maison pour ne plus voir son père soûl et échapper à ses coups. Mais la galère s’est poursuivie avec les nuits passées dans la rue, dans des centres de crise… Au bout d’un an, Yves a été retrouvé par sa famille, alors qu’il partageait le quotidien de copains accros à l’héroïne. Il a alors été hébergé par sa s£ur, puis par sa  » copine « , une mère de deux enfants, qui a fini par le laisser tomber. Dépression, drogue, fugue de l’hôpital psychiatrique. Et puis, à nouveau, la rue, un essai tout aussi malheureux de cohabitation et, au bout du compte, la cure de désintoxication, dont Yves est sorti plein de regrets, avec l’impression d’avoir son avenir derrière lui.

Ce témoignage a été recueilli en Flandre par des sociologues de la KUL (Katholieke Universiteit Leuven) dans une enquête récente, menée auprès de 18-25 ans bénéficiant du revenu d’intégration, nouvelle appellation pour le minimex, dans l’esprit de la loi de 2002 sur l’intégration sociale (1). Yves n’est pas le seul  » minimexé  » à broyer du noir.  » Cela me prend la tête de vieillir « . John n’a pourtant que 21 ans. Viré de l’école dès la 2e primaire, il est passé par six autres établissements, avant d’abandonner sans avoir terminé son contrat d’apprentissage. Pas d’emploi ni de droit au chômage pour John dont la mère fait appel à une assistante sociale pour remplir le moindre papier. Il apprend ainsi qu’un  » minimexé  » peut bénéficier d’un  » emploi social « . Après une formation en maçonnerie, John est assuré de travailler un an dans l’entreprise de formation par le travail (EFT) dépendant du CPAS (Centre public d’aide sociale),  » L’Outil « , à Namur. Mais il regrette d’avoir tant  » rigolé  » à l’école.  » Quand t’as pas de diplôme, on te prend pour un débile. T’es juste bon à te faire crever comme un ô mandaïe « .  »

Grégory (24 ans) serait, lui, prêt à accepter n’importe quel travail. Ce Belge a passé cinq ans au Chili où il a terminé ses humanités et décroché une formation de guide de montagne. Pas très utile pour un retour au pays, en juillet dernier, aux allures de douche glaciale. Quatre mois pour obtenir des papiers d’identité belges et une carte SIS, sésame pour la recherche d’un emploi. Pas d’allocation de chômage. Le CPAS comme bouée de sauvetage.  » Mais les formations proposées sont trop basiques : remplir un CV, je sais ! Ce matin, le CPAS m’a prévenu trop tard pour un entretien d’embauche à Bruxelles Propreté ! Comme s’il estimait que c’était en dessous de mes capacités. Rien ne me pousse à travailler. Sauf ma femme, qui ne parle pas le français, et mon bébé de1 an.  »

A Bruxelles, le CPAS est un point de chute cosmopolite. Eduardo, également 24 ans, a été arrêté voici deux ans à la gare du Midi, alors qu’il ne parlait pas un mot de français et s’apprêtait à prendre le train pour la Grande-Bretagne. Il avait acheté un faux passeport en Macédoine après avoir fui l’Albanie, où les Tsiganes comme lui ne sont guère aimés. Sans nouvelles de sa famille, ce réfugié politique suit, le jour, une formation en électricité (en français), et étudie, le soir, le néerlandais. Il ne tarit pas d’éloges sur la Belgique,  » un pays démocratique « , à qui il doit sa subsistance.

Survivre coûte que coûte. Orpheline de père, Michèle (19 ans) a fui, en son temps, le génocide du Rwanda, avec son grand frère. Réfugiée politique, elle bénéficie d’un revenu d’intégration. Mais pas sa mère, qui l’a rejointe voici un an.  » Pour cette raison, on n’a pas droit à un logement social. Quand on a payé le loyer de l’appartement et les factures, il n’y a plus rien à manger. Dans ces conditions, c’est dur d’étudier.  » En 1re année de graduat commercial, Michèle a dû emprunter pour payer les frais d’inscription en attendant sa bourse.

Compter le moindre centime : cette année, pour la première fois, Sébastien, 21 ans, 2e candidature en math, a frappé à la porte du service social de l’université. Il a demandé à échelonner le paiement du minerval, parce qu’il avait perdu sa bourse en tant que bisseur. Voici trois ans, sur un coup de tête, il a claqué la porte de chez lui : ras-le-bol de son beau-père et d’une mère qui l' » opprimaient « . Il a emménagé dans un appartement. Tout seul pour faire le ménage, les repas…  » Le soir, les autres étudient. Moi, je bosse encore ô à côté « , car mon revenu d’intégration ne suffit pas pour payer mes études. Mais je ne regrette rien. Je suis mieux préparé à la vie professionnelle que mes camarades de cours.  »

Rester positif, malgré tout. Vincent (24 ans) se souviendra longtemps du 15 juin 2003. Ce jour-là, en pleine session d’examens, cet étudiant de 2e licence en communication sociale a appris que son père venait de quitter sa mère (dépressive, au foyer), sans crier gare. Sur le conseil du médecin de famille, mère et fils se sont adressés au CPAS.  » Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans télédistribution, sans téléphone, sans l’Internet, devant relever mes mails dans un cybercafé. Cela a redoublé ma détermination à chercher du boulot. J’espère que l’un des derniers entretiens d’embauche sera concluant et que mon revenu d’intégration ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir.  »

5 000 jeunes minimexés en 1990, 15 500 en 2002, 19 000 aujourd’hui.  » Avec l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans en mai 1990, le nombre de minimexés a été multiplié par cinq « , peut-on lire dans l’étude de la KUL (1). La part des moins de 25 ans dans l’ensemble des bénéficiaires du revenu d’intégration a atteint 26 % en 1999 (pour 12 % en 1990). Elle a augmenté au fur et à mesure que les conditions d’accès au chômage se sont durcies. Ainsi, les diplômés les moins fortunés ne peuvent rester sans le sou ou presque, alors que la durée du stage d’attente a été allongée et que l’allocation versée par la suite est parfois inférieure au revenu d’intégration (396,88 euros pour une personne cohabitante et 595,32 pour un(e) isolé(e), au 1er juin 2003).

Mais le manque d’emploi ne suffirait pas à expliquer tout recours à l’aide sociale.  » Il y a trois catégories de jeunes ôminimexés », explique Claude Emonts, directeur du CPAS de Liège. Un tiers sont des étudiants pour lesquels le revenu d’intégration ne devrait être que transitoire. Un autre groupe, constitué de jeunes en formation ou en recherche active d’emploi, devrait également s’en sortir.  » Même s’ils n’ont pas toujours le degré de qualifications de Vincent ou de Sébastien, comme Afrim, par exemple, qui a suivi sa mère au CPAS, dès 18 ans, mais qui semble avoir trouvé sa voie en apprenant la maçonnerie, à l’EFT  » L’Outil « , à Namur.  » C’est ce que j’ai toujours voulu faire, dit-il. Mais ma mère me trouvait trop jeune pour travailler.  »

Pour un dernier groupe, les perspectives sont plus sombres, quand des difficultés de différentes natures s’accumulent, comme un niveau de scolarité trop faible, de lourds problèmes de relation et de pauvreté au sein de la famille d’origine, un placement en institution, des ennuis judiciaires ou des dépendances.

Les sociologues de la KUL mettent alors en cause l’individualisation de la société et la perte de légitimité des anciens acteurs de socialisation qu’étaient la famille, les idéologies, la classe sociale ou le quartier. Le fils d’ouvrier ne va plus travailler à l’usine comme son voisin ou son père, ce dernier ayant le plus souvent disparu dans les familles éclatées des minimexés. Il ne fait plus  » ce que le curé dit « . Il est confronté à une multiplicité d’options en matière d’études, de loisirs… Cette liberté nouvelle, qui permet à chacun de tracer sa voie, ne profite pas aux jeunes les moins favorisés, qui ne disposent pas des possibilités matérielles, culturelles ou sociales pour faire les bons choix.

Malgré la loi de 2002 qui insiste sur l’ intégration des  » minimexés « , l’accompagnement, qui varie d’un CPAS à l’autre, ne serait pas suffisant. Chez les plus fragilisés, la non-prise en charge des problèmes de logement, de santé physique ou mentale, de remboursement de dettes ou de toxicomanie rendrait impossible toute quête d’un emploi. Les sociologues de la KUL plaident donc pour une collaboration avec d’autres services d’aide. Afin que ces jeunes ne deviennent pas de… vieux assistés.

Dorothée Klein

Des étudiants, des sans-emploi en formation et un noyau cumulant les handicaps : les 1 900 jeunes du CPAS

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