Les douze travaux d’Alexis

Migrants, dette, austérité, Etat en échec… Aucun autre leader européen ne doit faire face à autant de crises en même temps. A Athènes, pourtant, le Premier ministre Tsipras apparaît serein. Mais comment fait-il ?

Dette abyssale, Etat inopérant, économie en panne, crise migratoire… Par sa gravité et sa complexité, chacun des dossiers qui s’empilent sur le bureau du Premier ministre grec semble écraser le précédent. A 41 ans, avec son air éternellement jeune, Alexis Tsipras ne paraît guère s’en soucier. En janvier 2015, grâce à un mélange d’habileté et de pragmatisme, le leader de Syriza, le parti de la gauche radicale, est parvenu à s’imposer sur une scène politique ossifiée, rongée par le clientélisme et les dynasties. Six mois plus tard, en juillet, sa convocation surprise d’un référendum sur les réformes structurelles exigées par les créanciers européens l’a fait traiter de fou. Avec le recul, pourtant, ce scrutin lui a permis de réaliser l’union nationale.

Aujourd’hui, tandis que d’autres leaders européens semblent habités par le doute et hantés par les sirènes du populisme, Tsipras apparaît comme celui qui a survécu à tout. Vingt-cinq ans de militantisme ont fait de lui un animal politique hors pair. Il lui faudra de l’instinct pour venir à bout des douze tâches qui l’attendent…

1. Faire face à la crise migratoire

Depuis le 1er janvier 2015, plus de 1 million de migrants et de réfugiés sont arrivés dans le pays… L’an dernier, malgré la crise économique et financière, Athènes a plutôt bien géré la vague de migrants, originaires en majorité de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak. En dépit des ratés et des retards de l’administration, la Grèce est apparue comme un pays d’accueil, fidèle aux principes européens de droit d’asile.

Une telle posture était facile à adopter en 2015, quand le territoire était un simple lieu de transit. A présent, tout a changé : le pays est devenu un piège depuis la quasi-fermeture, ces derniers mois, de la  » route des Balkans « , que les réfugiés empruntaient pour gagner l’Allemagne et la Suède. En début de semaine, les autorités recensaient près de 50 000 migrants et réfugiés.

2. Appliquer l’accord

Scellé le 18 mars entre l’Union européenne et Ankara, un accord prévoit le renvoi en Turquie de tous les nouveaux arrivants. Pour chaque réfugié syrien renvoyé, les Européens se sont engagés à  » réinstaller  » dans l’Union européenne un autre Syrien, protégé en Turquie par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les premiers retours pourraient commencer  » à partir du 4 avril « , selon la chancelière allemande Angela Merkel, inspiratrice de l’accord. L’objectif est de briser l’élan vers la Grèce et de fixer les réfugiés, autant que faire se peut, sur le territoire turc.

Reste à voir comment le texte sera appliqué. La tâche sera  » herculéenne « , selon l’expression du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

3. S’allier à Angela Merkel

L’été dernier, la chancelière allemande avait obligé Athènes à accepter des mesures d’austérité sans précédent. Aujourd’hui, elle est soudain devenue l’une des principales alliées d’Alexis Tsipras.

 » L’image d’Angela Merkel a beaucoup changé en Grèce, depuis qu’elle a mis son poids politique en jeu dans la crise des migrants « , souligne Susanna Vogt, qui dirige le bureau grec de la Fondation Konrad Adenauer.  » Tsipras et elle ont toujours entretenu de bonnes relations de travail, ajoute-t-elle. A présent, la communication est encore plus étroite et régulière. Pour la chancelière, il est exclu de rejoindre le camp des pays qui ferment leurs frontières. Et il n’est pas question de voir la Grèce se laisser déborder par un afflux de réfugiés qui dépasse, de très loin, ses capacités d’accueil. D’où la conclusion de l’accord avec la Turquie. A eux trois, ces pays ont conclu une relation triangulaire inattendue, mais qui pourrait être efficace : chacun a besoin des deux autres.  » Bénéficiaire de l’accord, Tsipras rend aussi service à la chancelière, politiquement affaiblie par sa gestion de ce dossier.

4. Calmer la Turquie

C’est l’autre effet paradoxal de la crise migratoire. Non seulement elle rapproche la Grèce et l’Allemagne, mais elle rend aussi Athènes et Ankara dépendants l’un de l’autre. Or un différend oppose ces deux ennemis historiques. A Chypre, d’abord, mais aussi en mer Egée, lieu de passage des réfugiés et des migrants. Le mois dernier, des avions de combat turcs seraient entrés à plusieurs reprises dans l’espace aérien grec, selon Athènes. L’un et l’autre pays se disputent la souveraineté de certaines îles dans la région.

Pourtant, Alexis Tsipras devra composer avec son homologue turc, Ahmet Davutoglu : chacun y a intérêt.

5. Négocier le remboursement de la dette

Les discussions se poursuivent entre Athènes et ses principaux créanciers, l’Union européenne et le Fonds monétaire international. Les deux parties peinent à s’entendre sur la réforme fiscale et celle des retraites (voir ci-après). L’objectif est de parvenir à un accord avant le 11 avril, date de la prochaine réunion des ministres des Finances de la zone euro. La Grèce pourrait alors recevoir de nouveaux prêts internationaux de 86 milliards d’euros, en échange de la poursuite de l’austérité.

6. Réformer les retraites

C’est le casse-tête du moment… Imposée par les créanciers, la réforme des retraites provoque la colère des syndicats, qui ont appelé à une série de grèves générales.

Interrogé par Le Vif/L’Express, le ministre grec du Travail, Georges Katrougalos, se fait fort d’éviter de nouvelles coupes dans les pensions principales de retraite déjà versées. Mais des divergences demeurent, reconnaît-il :  » Le dialogue a été très vif, en particulier avec nos interlocuteurs du Fonds monétaire international. Mais je suis plutôt confiant. Alors que des Etats membres semblent tentés par le populisme et le repli sur soi, il est dans l’intérêt de l’Union européenne de s’allier avec des partisans de la gauche, comme nous, qui défendons le modèle social européen.  »

Monsieur le ministre a accroché dans son bureau le fac-similé d’un décret signé par Robespierre. Comme la plupart des membres du gouvernement, c’est un ancien compagnon de route du Parti communiste grec. Paradoxalement, un tel profil pourrait lui faciliter le passage en force d’une réforme inévitable.

7. Relancer l’économie

Qu’importe si l’agence de notation Standard & Poor’s a réévalué son appréciation en légère hausse, de CCC à B-. En Grèce, les entrepreneurs sont à la peine…  » Le cauchemar bureaucratique est devenu secondaire, souligne Johnny Georgiadis, responsable du marketing d’une jeune start-up de vente par Internet de produits alimentaires, Yolenis.eu. L’ennui, c’est surtout l’absence totale de financements bancaires et le contrôle des capitaux, toujours en vigueur.  »

 » La Grèce n’affichera jamais les taux de croissance de l’Irlande ou de la Chine, reconnaît Panagiotis Petrakis, professeur d’économie à l’université nationale d’Athènes. A condition que le gouvernement ne fasse pas d’erreur, toutefois, il me semble que nous entamons un cycle vertueux, grâce aux mesures imposées par nos créanciers. La tâche ne serait pas très compliquée pour un parti de gouvernement classique. Mais Syriza a toujours promis l’avenir radieux et fait mine de refuser l’austérité. Politiquement, la tâche sera délicate.  »

8. Réveiller l’Etat

En Grèce, tout le monde reconnaît que l’Etat fonctionne mal, mais personne n’est d’accord pour entreprendre sa réforme. En coulisses, pourtant, il y a des progrès. Au sein de chaque ministère, les départements et les services ont été réorganisés, souvent sous la houlette de l’Union européenne.  » Chaque agent de la fonction publique dispose d’une feuille de route claire, qui explique le travail qu’il a à faire, explique une chercheuse universitaire familière de l’administration. La coordination interministérielle va mieux, elle aussi. A l’échelle de la Grèce, ce sont d’immenses progrès.  » Les partis d’opposition soupçonnent Syriza de chercher à transformer l’Etat pour le modeler à sa guise.

9. Moderniser le parti

 » Les Grecs ont toujours entretenu des relations difficiles avec la réalité « , soupire Nikos Dimou, journaliste et écrivain, auteur d’un best-seller au titre éloquent, Du malheur d’être grec (Payot).  » Il me semble qu’Alexis Tsipras a perdu une partie de ses rêves de jeunesse et qu’il apprend à gouverner. Mais ses ministres, eux, apprennent plus lentement. Quant aux militants de Syriza, ils sont restés des communistes, variante stalinienne.  » Un ministre désapprouve :  » Nous ne sommes pas plus radicaux que les sociaux- démocrates il y a vingt ans. Aujourd’hui, il suffit de prôner un programme économique keynésien pour apparaître comme un dangereux extrémiste…  »

10. Lutter contre le clientélisme et les pots-de-vin

Alexis Tsipras et les membres de son gouvernement sont souvent accusés de promouvoir des camarades de lutte incompétents à des postes de responsabilité. L’ennui, c’est qu’il y a là une tradition nationale, dont toute la classe politique s’est rendue coupable.  » Les mentalités évoluent, estime Aristidis Baltas, ministre de la Culture. A présent, quand certains m’approchent et me demandent si je n’aurais pas un poste pour tel ou tel membre de leur famille, ils me parlent à voix basse. Ils ont honte, et c’est nouveau.  » Les statistiques de Transparency International reflètent une légère baisse de la  » petite  » corruption – enveloppes et dessous-de-table. Mais il est trop tôt pour savoir si le mouvement sera durable.

11. Cajoler la majorité parlementaire

Les élections législatives de septembre 2015 ont donné la majorité à Syriza, malgré un fort taux d’abstention : près de la moitié de l’électorat a boudé les urnes, bien que la participation au vote soit obligatoire.  » Le soutien à Syriza est toujours là, mais l’enthousiasme s’est évaporé, note Michalis Spourdalakis, recteur de la faculté de droit et de sciences politiques d’Athènes. Plus personne ne croit que la Grèce peut échapper à l’austérité. Simplement, une majorité d’électeurs comptent sur Tsipras pour que les réformes soient les plus humaines possibles.  » A défaut d’atteindre la majorité absolue, Syriza a dû s’allier une nouvelle fois au parti des Grecs indépendants (AN.EL, droite), mais ce bloc représente trois petites voix de majorité…

12. Provoquer des élections anticipées ?

Une nouvelle menace apparaît à l’horizon… Face à Tsipras, qui a déçu une partie de son électorat et apparaît souvent comme un  » moindre mal « , un autre quadra tente d’incarner le renouveau et le changement. En janvier dernier, en effet, les militants de la Nouvelle Démocratie, principal parti conservateur, ont choisi un outsider comme nouveau leader : Kyriakos Mitsotakis, 47 ans, issu, comme tant d’autres, d’une grande famille politique. A présent, certains conseillent au Premier ministre de provoquer des élections anticipées afin de prendre de vitesse ce rival, sans lui laisser le temps de mettre son parti en ordre de bataille… Jamais tranquille !

De notre envoyé spécial Marc Epstein avec Marina Rafenberg

 » Nous entamons un cycle vertueux, grâce aux mesures imposées par nos créanciers  » Panagiotis Petrakis, professeur d’économie

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