Les deux problèmes de Kerry

Normalement, les jeux devraient être faits. Face à un président qui a tant failli, son adversaire démocrate devrait occuper la scène, assez caracoler en tête des sondages pour être, d’ores et déjà, assuré de l’emporter en novembre.

Or que se passe-t-il ? La cote de popularité de George Bush recule. Les Américains sont, désormais, plus nombreux à désapprouver sa politique qu’à l’approuver. Cela présage mal de sa réélection, mais, tout nouveau Kennedy qu’il soit, bardé de médailles, intelligent, riche et belle gueule, John Kerry ne progresse pas au rythme où régresse le président.

La première raison en est qu’il a trop aisément remporté les primaires. Dans leur hâte à se débarrasser de George Bush, les électeurs démocrates se sont si rapidement portés sur celui des candidats qui leur semblait le mieux à même de séduire les centristes qu’ils l’ont mis en position de devoir entrer en campagne huit mois avant l’élection û autrement dit, bien trop tôt.

En huit mois, on épuise ses fonds et ses forces au point d’en manquer près du but. En huit mois, on use ses slogans au point d’être soi-même usé quand les électeurs tranchent. Huit mois de campagne, c’est si clairement trop long que John Kerry a préféré ne pas se hâter. Mais, à choisir la stratégie de la tortue quand chaque journée prouve la faillite de l’aventure irakienne, que la presse américaine retrouve son esprit critique et que le doute envahit l’opinion, John Kerry semble absent.

Alors que l’Amérique cherche une alternative, il ne s’est pas encore fait connaître d’elle et paraît d’autant plus indécis, décalé, qu’il peine effectivement à savoir quoi dire sur l’Irak.

C’est son second problème. D’ici à novembre, la donne peut changer dix fois à Bagdad. Ce qui serait juste aujourd’hui peut être dépassé demain et toute vraie proposition de sortie de crise peut ainsi se retourner contre le candidat démocrate. Pis encore, John Kerry ne peut pas se contenter de critiquer, de recenser les erreurs et les mensonges de son adversaire, car, lorsqu’on a d’aussi grandes chances de prendre la responsabilité d’un pays embourbé dans une guerre si mal engagée, il faut aussi prouver qu’on saurait quoi faire.

Or que faire en Irak ? Se tourner vers l’Onu ? Non seulement George Bush prétend le faire, mais cela ne suffira pas à résoudre le problème.

Il faut mettre les Nations unies aux commandes, c’est urgent, mais pour y faire quoi ? Organiser des élections ?

Oui, bien sûr, mais, quand les élections auront donné le pouvoir aux chiites, faudra-t-il les aider à maintenir par la force l’unité irakienne ? Soutenir une théocratie ou bien laisser Kurdes et sunnites faire sécession, au risque de mettre le feu à toute la région ?

Au-delà de l’évidence onusienne, plus personne ne sait plus quoi faire en Irak, pas plus en Europe qu’à Washington. John Kerry ne fait pas exception. C’est pour cela qu’il profite si peu du discrédit de George Bush.

Bernard Guetta

Alors que l’Amérique cherche une alternative, le candidat démocrate ne s’est pas encore fait connaître d’elle

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