Les dessous du contrat chinois

Airbus triomphe : la Chine vient de lui commander 150 avions (9 milliards de dollars, au prix catalogue), la plus importante vente jamais réalisée par la compagnie. En échange de leur place sur ce qui deviendra le plus grand marché du monde, Airbus et sa maison mère, EADS, ont consenti de substantiels échanges de technologie. Noël Forgeard, coprésident d’EADS, et Jean-Paul Gut, président d’EADS International, livrent au Vif/L’Express les clés de leur stratégie

La Chine est- elle l’avenir de l’économie mondiale en général et d’EADS en particulier ?

Noël Forgeard : La Chine, c’est certain, fera partie d’ici vingt ans du club des pays complètement développés. Pour nous, c’est d’autant plus important que cette économie est avide de produits de haute technologie tels que les nôtres. Croissant à un taux de plus de 8 % par an, ce marché aura besoin dans les dix ans de 1 600 avions. D’où notre décision de lier nos destins en proposant à Pékin des partenariats stratégiques forts et durables, dans le domaine des avions civils, bien sûr, mais aussi dans celui des satellites, des hélicoptères et des communications.

Jean-Paul Gut : Cela fait longtemps que nous coopérons avec les Chinois, mais nous avons procédé par étapes. Ainsi, dans le domaine des hélicoptères, nous avons d’abord délocalisé certaines productions, puis nous sommes passés aux transferts sous licence avant d’arriver à une intégration totale. Aujourd’hui, nous allons développer et industrialiser ensemble un hélicoptère de 6 tonnes, et nous proposerons au marché mondial un produit développé à 50-50 avec les Chinois, ce qui est totalement nouveau.

Les transferts de technologie sont-ils obligatoires pour accéder au marché chinois ?

J.-P. G. : C’est non seulement indispensable pour obtenir le marché, mais aussi utile pour accroître notre compétitivité. Cela nous donne notamment une couverture naturelle face au dollar, car la Chine est une zone dollar.

N. F. : C’est la même chose pour Airbus. Des coopérations limitées existaient, mais, depuis 2000, je me suis donné pour objectif d’augmenter les tâches confiées à l’industrie chinoise, notamment des éléments importants de la voilure ; et en 2004, nous nous sommes engagés à ce que, à partir de 2010, nous achetions au moins pour 120 millions de dollars d’équipements aéronautiques chinois par an. En parallèle, nous avons lancé un centre d’ingénierie à Pékin qui va employer 200 personnes, pour la plupart des ingénieurs, d’ici à la fin de 2008.

Face au problème du transfert de technologie, l’alternative est-elle soit de perdre le marché immédiatement, soit de le perdre d’ici dix ou quinze ans, le temps que les Chinois aient bâti leur propre industrie, grâce justement à ces transferts ?

N. F. : Je ne veux pas me laisser enfermer dans cette dialectique. Tout ce que je sais, c’est que cette coopération est à la fois inévitable et souhaitable. Elle constitue l’un des aspects positifs de la mondialisation : aux Chinois, qui en ont besoin, elle fournit de la technologie et à nous elle ouvre des marchés. Le contrat que nous avons signé le 5 décembre est bien la preuve que cette politique qui consiste à lier nos destins porte ses fruits. Cette commande de 150 moyen-courriers est la plus grosse jamais remportée par Airbus dans le monde.

Une industrie aéronautique chinoise forte peut-elle voir le jour ?

J.-P. G. : Des pays comme la Chine, l’Inde ou la Russie doivent choisir entre deux modèles : soit ils bâtissent leur propre industrie en entrant en concurrence directe avec Airbus et Boeing, soit ils choisissent l’intégration et la spécialisation de leur industrie aéronautique dans des domaines qui sont complémentaires des nôtres.

N. F. : Après tout, aujourd’hui, les Européens ont renoncé à construire des industries aéronautiques civiles nationales. Même Boeing adopte une démarche de coopération avec un réseau très dispersé qui comprend notamment l’Italie, la Corée, le Japon et le Canada. Et il est d’ailleurs très critiqué aux Etats-Unis pour délocaliser à grande échelle. Nous, nous proposons aux Chinois un statut de parité dans le système que nous avons bâti. Il s’agit de nous rejoindre non comme des sous-traitants, mais comme des partenaires.

Les fabricants européens d’équipements s’inquiètent de vous voir recourir à leurs concurrents chinois…

N. F. : Airbus est une société globale qui pratique un sourcing global. Tous nos fournisseurs européens doivent en permanence se demander s’ils sont compétitifs par rapport à leurs concurrents des autres grands pays et, s’ils ne le sont pas, ils doivent consentir les investissements nécessaires pour l’être. Ils ont un avantage certain, celui de pouvoir plus facilement accéder à nos données techniques, mais ils ne doivent pas s’attendre à une sorte de préférence politique.

L’aéronautique, en 2005, a connu une année exceptionnelle. Peut-on continuer à ce rythme ?

N. F. : La Chine, l’Inde et les compagnies low cost ont été des facteurs très importants du dynamisme du marché. Les deux premiers sont durables, mais la demande des compagnies low cost (environ 25 % du marché) va, sans doute, se stabiliser. En revanche, les compagnies aériennes traditionnelles, européennes et américaines, devraient prendre le relais. D’ores et déjà, nous-mêmes avons relevé nos prévisions pour 2005, et nous tablons sur 2,75 milliards d’euros de résultats, et sur 33 milliards de ventes.

L’encombrement du ciel et l’inexpérience ne vont-ils pas poser des problèmes de sécurité ?

N. F. : Nous avons signé en Chine un accord qui a permis en 2004 de former ou de reformer plus de 400 pilotes ; en outre, nous formerons chaque année une quarantaine d’inspecteurs spécialisés sur les questions de sécurité.

Entretien : Sabine Delanglade

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