Les dessous de la Mondaine

De l’Ancien Régime à la Ve République, un livre revisite les  » dossiers roses  » de la police des mours française. Derrière les secrets d’alcôve, cette brigade disparue poursuivait des desseins très politiques. Extraits.

L es dossiers roses de la Brigade mondaine sont autre chose que le titre alléchant d’un roman de gare. Ces rapports existent réellement. En 1901, Louis Puibaraud, maître des services politiques au sein de la préfecture de police, crée  » la Mondaine « , dont le rôle est de surveiller les maisons closes, qui se multiplient. On pourrait croire qu’il s’agissait là d’une mission de salubrité publique, voire d’hygiène. On se tromperait, car Louis Puibaraud avait une mission plus précise : s’informer sur les clients de ces établissements, établir des fiches sur les hommes politiques, les hauts fonctionnaires, les curés et les journalistes fréquentant les filles. Et, si possible, connaître de chacun les secrets les plus intimes. Des informations compromettantes, avec lesquelles étaient établis des  » blancs « , ces notes anonymes sans en-tête officiel et sans destinataire qui allaient rejoindre des dossiers roses numérotés. Ces derniers étaient ensuite rangés dans un coffre-fort curieusement nommé  » les étoiles « , au deuxième étage du Quai des Orfèvres. La nouvelle brigade était donc bien une police politique. Et le livre fort détaillé de Véronique Willemin (La Mondaine, éd. Hoëbeke), à paraître sous peu, nous le montre en ouvrant ces sulfureux dossiers, dont nous publions ci-après des extraits.

La fermeture des maisons closes en 1946, sous l’impulsion de Marthe Richard, fut, de ce point de vue, une catastrophe pour la police. Le robinet à confidences salaces venait d’un coup de se fermer et les  » blancs « , de se raréfier. La Mondaine fut appelée à d’autres tâches : traquer les bobinards clandestins et chasser les racoleuses. Signe des temps, elle disparaîtra en 1975, sur décision de Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, qui la remplacera par une brigade des stupéfiants et du proxénétisme (BSP). Mais ce n’est qu’en 1981 que Gaston Defferre interdira le fichage des homosexuels, qui avait été assuré, pendant des années, par la police des m£urs. La vieille  » Mondaine  » avait eu la vie dure.

Céline chez Aristèle, Barthou au Chabanais

Chaque matrone [de maison close] a son condé : une sorte de pacte passé avec la police. Elle fournit des renseignements de tous ordres contre une protection. Les rituels des habitués, les secrets d’alcôve des  » maisons à passions « , les spécialités de ces dames foisonnent dans les  » carnets d’amour  » tenus par les filles, dans les cahiers des maisons tenues par les sous-maîtresses, mais aussi dans les rapports de surveillance et dans les enquêtes dites délicates effectuées par la Brigade mondaine, à la demande du préfet de police ou du directeur de la police judiciaire. […]. Chez Aristèle, 31, rue de la Chaussée-d’Antin, un petit cabinet indépendant meublé d’une chaise jouxtait chaque chambre et un petit £illeton avait été installé afin de permettre aux voyeurs d’assister à de multiples ébats sexuels [à]. Le cabinet était loué le temps d’une passe. Le prix d’une séance de voyeurisme était celui de la chambre. Les cabinets étaient disposés si astucieusement qu’on ne pouvait y accéder que par l’immeuble d’à côté, dont le mur avait été percé d’£illetons. Lors d’une descente de la Mondaine, le propriétaire, un ancien gendarme révoqué pour malversation, déclara :  » J’ai de gros frais, il faut bien que je rentabiliseà  » C’est dans ce lieu que Louis-Ferdinand Céline venait, derrière une vitre sans tain, assister aux coquineries de son amie Elizabeth Graig, à qui il a dédié, en 1932, son roman Voyage au bout de la nuit.

Au Chabanais, 12, rue Chabanais, un ministre des Affaires étrangères fréquentait assidûment la maison close. Il se mettait nu et se laissait passer un collier à pointes autour du cou. A quatre pattes, promené en laisse, il présentait son postérieur devant une ronde de filles nues qui lui assénaient chacune des coups de fouet, chaque fois qu’il passait devant elles. Ce collier est conservé précieusement dans le musée de la Mondaine. La presse royaliste se fit un plaisir de surnommer et de caricaturer le ministre qui aimait faire le chien  » Barthoutou « . M. Louis Barthou n’arrêta pas pour autant son cabotinageà

Le claque des  » people « 

Le 31, boulevard Edgar-Quinet devient immédiatement une adresse très courue du Tout-Paris des années trente. S’y montrer pour boire un verre est du meilleur goût. L’établissement appartient à quatre associés, dont Charles Martel, figure du milieu, qui est lié au duo marseillais Paul Carbone et François Spirito. [à] Charles Martel confie la gérance de son nouveau lupanar à Georges Le Mestre et à sa femme, Marthe Marguerite, dite  » Martoune « . Avec grande habileté, les Le Mestre tissent les meilleures relations avec le préfet de police, Jean Chiappe, avec Albert Sarraut, le président du Conseil, radical, futur ministre de l’Intérieur en 1936, ainsi qu’avec Paul Reynaud, futur président du Conseil. Les protections sont assurées, les affaires peuvent commencer [à] Martoune prétendait avoir reçu les grandes vedettes hollywoodiennes : Gary Cooper, Erol Flynn et même Marlene Dietrich lors d’un passage à Paris [à] Sans états d’âme, Martoune recevait dans son lupanar luxueux les grands noms du journalisme : Albert Legrand, grand reporter, Alexandre Breffort, futur auteur d’Irma la Douce, Georges de La Fourchadière [à] Georges Simenon, Henri Béraud, Prix Goncourt [à]. Le peintre Kisling sortait de son atelier pour venir se divertir, accompagné de son modèle préféré, Kiki de Montparnasse, et de ses amies proches Marlene Dietrich et Madeleine Sologne. Après avoir bu sa ration de rouge, Fréhel, avec sa gueule de mère maquerelle [à], entamait les couplets de ses chansons. Monsieur Sacha, autrement dit Alexandre Stavisky, se fit remarquer par son élégance. Il venait boire un verre, guincher avec Arlette Simon, un mannequin de Chanel dont il était fou amoureux.

 » Au sujet de la nommée Marthe Richard « 

Pour ses adeptes, Marthe Richard est une héroïne de la Première Guerre mondiale, une résistante de la Seconde, une grande dame parée de la Légion d’honneur, une fervente militante engagée dans la lutte pour le respect de la morale et de la vertu. De source policière, les notes et les rapports donnent un autre profil à l’héroïne de la fermeture [des maisons closes]. Sous le nom de Marthe, veuve Compton, dite Marthe Richard, née Betenfeld, l’Administration répertorie de nombreux dossiers. [à] La note du 8 janvier 1953 établie par la direction des services de la police judiciaire, 4e section, mentionne :  » Marthe Betenfeld [à] apprend le métier de couturière. En fait, elle commence tout de suite à se prostituer. [En 1905, elle] est surprise à plusieurs reprises par le service des M£urs alors qu’elle se livre au racolage.

[Le dossier secret n° 1494 précise] :  » Fidèle à ses amitiés, Marthe Betenfeld devait mettre tout en £uvre, au moment de la Libération, pour protéger ou tenter de dédouaner plusieurs collaborateurs notoires des Allemands. A la suite d’on ne sait quelles circonstances, on la retrouve, en 1944, lancée dans la politique et bientôt élue conseillère municipale dans le 5e secteur sur une liste de la Résistance unifiée ! Son titre de conseillère municipale n’empêcha pas l’intéressée de poursuivre ses intrigues lucratives, qui lui valurent une inculpation pour escroquerie et une condamnation à 150 000 francs d’amende, laquelle était amnistiée sur-le-champ en 1949. « 

Le carnet noir de Pompidou

Le 1er octobre 1968, le corps de Stephan Markovic, ancien garde du corps d’Alain Delon, est découvert enfoui dans une décharge publique à Elancourt (Yvelines) [à]. Dans une lettre envoyée quelques jours avant sa disparition, il prévenait :  » S’il m’arrive quelque chose, il faut chercher du côté d’Alain Delon et de François Marcantoni, un vrai gangster  » [à] Rapidement, l’enquête dévie et s’intéresse aux soirées très chaudes qu’organisait Stephan Markovic [à]. Le journal Minute avance que l’ami des vedettes négociait très cher des photos compromettantes. Notamment celle de la femme d’un homme politique. Le nom de Claude Pompidou est lancé. [à] Pompidou prend conscience de la manipulation montée contre lui [à]. En 1969, quand Pompidou accède à la présidence de la République, il demande le départ sur-le-champ de Jean-Charles Marchiani, membre du SAC, qu’il tenait pour responsable de la création et de la diffusion des photographies truquées. Jusqu’à sa mort, il gardera dans sa poche un petit carnet comprenant les noms des gens qui avaient participé au complot. Au service de la Mondaine, le groupe des OBM (Outrages aux bonnes m£urs) a fini par trouver la revue pornographique suédoise d’où la photo originale avait été extraite. Le visage d’une actrice suédoise avait été remplacé par celui de Mme Pompidou.

laurent chabrun

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