Les dessous de la controverse

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le combat acharné entre les climato-sceptiques et les scientifiques du Giec pour faire triompher une cause honorable cache-t-il des mobiles moins avouables ? Autopsie d’un bras de fer.

Combien sont-ils, sur la planète Terre, à avoir lu les rapports du Giec, qui ne cessent d’être décriés ? Une poignée. Les scientifiques de tous bords sont les premiers à l’admettre : ils n’ont pas le temps de lire ces milliers de pages.  » Je devrais passer mes journées sur ce dossier pour avoir un avis pertinent, confie ce chercheur. C’est impossible.  » Il ne se passe pourtant pas une semaine sans que quelqu’un mette en exergue l’une ou l’autre erreur glanée au fil de ce volumineux document, dont la dernière édition date de 2007. Ces erreurs, le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat les reconnaît. A la mi-février, il a admis une nouvelle fois s’être trompé en écrivant que 55 % du territoire des Pays-Bas – au lieu de 26 % – étaient sous le niveau de la mer.

Dans le camp des opposants au Giec, on se frotte les mains. Leur offensive gagne en intensité et en violence depuis quelques mois (lire en page 74). A leurs yeux, chaque erreur du Giec écorne un peu plus sa crédibilité. A voir. Car ces fautes ne remettent pas en cause le message d’alerte selon lequel un changement climatique sévère est en route, provoqué par l’activité humaine. En revanche, cette polémique planétaire entache la crédibilité de tous les scientifiques du monde. Perdus dans un débat qui leur échappe, les citoyens ne savent plus ni qui croire, ni que penser. Et quoi qu’il advienne, à l’avenir, ils se méfieront sans doute de tous.

Ils ne devraient pas : les scientifiques ne forment pas une communauté homogène. D’un côté, il y a ceux pour qui le réchauffement climatique n’est qu’une vaste fumisterie et l’impact des activités humaines sur l’environnement, dérisoire. Ils ne semblent pas constituer une majorité. D’un autre côté, il y a le Giec et les scientifiques qui s’associent à son travail. Certains d’entre eux au moins sont prêts à reconnaître leurs erreurs et admettent qu’ils ne peuvent afficher aucune certitude.  » C’est le propre des scientifiques d’être sceptiques, répète inlassablement le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, par ailleurs vice-président du Giec. Nos opposants n’ont pas le monopole du doute. On doit pouvoir mettre en cause ce qu’on pense, sinon on n’avance pas. « 

Le doute, c’est probablement ce qu’éprouve la majorité des scientifiques dans les circonstances actuelles.  » Je n’ai pas d’avis mais j’émets des doutes, avance le géologue Alain Préat, professeur à l’ULB. Je trouve déjà très étonnant que, dans le cadre des travaux du Giec, l’on demande à des scientifiques d’aboutir à des consensus sur des textes. Les scientifiques perdent toute crédibilité s’ils sont unanimes.  » Voilà pour le principe du doute fondateur de toute science. Mais bien d’autres remarques sont désormais formulées par rapport à ce que d’aucuns considèrent comme la pensée climatique unique.

1. Les vrais spécialistes du réchauffement climatique, un dossier d’une complexité remarquable, sont rares. Le Giec travaille certes avec des centaines de scientifiques. Mais combien d’entre eux sont de vrais connaisseurs de la science du climat ? Il reste que le Giec, s’il n’est pas parfait, apparaît, faute d’alternative, comme le moins mauvais système en vigueur aujourd’hui. Et, comme le souligne Jean-Louis Tison, glaciologue à l’ULB, force est de reconnaître que les prédictions contenues dans les premiers rapports du Giec se sont réalisées.

2. Le climat n’est pas une science exacte, il reste des pans entiers de cette science qui ne sont pas ou mal connus. Le Giec l’admet mais considère qu’en vertu du principe de précaution on ne peut pas attendre d’avoir la maîtrise de tout pour agir.  » Ce n’est pas parce qu’il y a consensus entre scientifiques que le nature s’y adapte « , embraie, malicieux, Henri Malcorps, physicien et directeur de l’IRM (Institut royal météorologique), où a été créé un groupe de travail chargé d’analyser les critiques des climato-sceptiques.

3. Le manque de transparence est l’un des reproches les plus régulièrement formulés à l’encontre du Giec. Les données sur lesquelles se sont fondés ses travaux ne sont pas transmises aux sceptiques qui en ont fait la demande.  » Certaines de ces données appartiennent à des services météorologiques nationaux qui ne les donnent pas mais les vendent, détaille Jean-Pascal van Ypersele. Peut-être aurait-il fallu le faire savoir davantage parce que le refus de transmettre des informations renforce le sentiment d’aucuns qu’on leur cache quelque chose. Je serais, moi, pour la plus grande transparence possible.  » Les rumeurs, largement relayées sur Internet, selon lesquelles les informations du Giec auraient été manipulées pour soutenir la seule thèse du réchauffement climatique, n’arrangent rien.

4. En attendant, l’attitude du Giec est considérée comme arrogante par bien des scientifiques qui jugent inadmissible qu’il soit si difficile de faire entendre un point de vue différent.  » C’est énervant, cet aspect  » La science a parlé « , résume Henri Malcorps.  » Ce qui est choquant, embraie un ingénieur, c’est qu’on nous ait dit de nous taire pendant des années en affirmant qu’il n’y avait aucun doute possible. Mais Galilée était seul aussi à avoir raison. La science n’est pas une question de majorité.  »

Le Giec se défend en expliquant que son rapport publie des contributions écrites aussi bien par des scientifiques qui travaillent pour Greenpeace que par d’autres qui collaborent avec le pétrolier Exxon. Qu’il y a de la place, dans cette synthèse, pour les commentaires des auteurs. Et que chacune des recherches évoquées l’est avec un indice de confiance précis, qui va de 1 à 5.

5. Certaines des critiques émises à l’encontre du Giec portent aussi sur le fait que, pendant que l’on s’occupe de réchauffement climatique, on ne s’occupe pas des problèmes avérés, comme l’impossible accessibilité à l’eau dans de nombreuses régions du monde.

6. Enfin, la polémique provient aussi de la différence de contenu relevée entre le rapport du Giec et le résumé d’une petite centaine de pages qui en est fait pour les décideurs politiques.  » Je pense qu’il y a une collusion qui s’est mise en place toute seule entre des scientifiques, notamment intéressés par l’obtention de crédits de recherche supplémentaires, et des responsables politiques, qui n’y connaissent rien en sciences mais qui disposent là d’un message simple et vendeur « , analyse le géologue Alain Préat. Et depuis lors, il n’y a plus grand monde pour maîtriser une machine qui s’est mise en route.

Les raisons d’agir des uns et des autres

Mais pourquoi diable les climato-sceptiques engagent-ils tant d’énergie dans ce combat ? Par souci d’une visibilité médiatique ou par intérêt économique, répondent les uns, puisqu’il est connu que certains scientifiques sont payés par des lobbys ou de grands groupes menacés par les mesures qui seraient adoptées pour lutter contre le réchauffement. A priori plus honorable est l’envie de faire triompher  » la  » vérité scientifique face à des scientifiques du Giec jugés arrogants.

Ceux-ci jugent crucial le combat contre le réchauffement climatique parce qu’il y va, selon eux, de la sauvegarde de la planète. Mais leurs détracteurs déplorent chez eux les effets pervers d’un  » emballement, depuis une quinzaine d’années, qui nuirait à la rigueur  » de leurs travaux, la quête de crédits de recherches et une certaine soumission à la pensée unique des ONG environnementales et autres.

Bref, cette confrontation et ses dérives n’auraient plus qu’un lointain rapport avec la Science, avec un S majuscule.  » Elle a perdu sa majuscule dans les années 1990 quand la recherche est devenue un enjeu économique, analyse Alain Préat. Désormais, les chercheurs sont surtout jugés sur ce qu’ils rapportent, par sur la qualité de leur travail. Il leur faudrait plus d’argent et, surtout, plus de temps, pour refaire convenablement de la science.  » Prévaut en définitive le sentiment que  » les scientifiques sont sortis de leur rôle  » et que cette polémique les dessert.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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