L’événement met aussi l’accent sur l’aspect social et l’ambiance. © belgaimage

Les cyclos aussi ont leur «Ronde»

Jef Van Baelen
Jef Van Baelen Journaliste Knack

A la veille du Tour des Flandres, 16 000 cyclistes amateurs se sont lancés dans We Ride Flanders. Coulisses du « Ronde » des amateurs, un étonnant événement à la portée mondiale.

C’est le Tour des Flandres des cyclos amateurs. L’occasion de découvrir, et de vivre, le parcours du Ronde, ses côtes mythiques, ses célèbres pavés. Sur 75,144, 177 ou, comme les pros, 242 kilomètres.

En 2017, le départ du Tour des Flandres fut déplacé de Bruges à Anvers. La métropole offrait plus d’argent et Flanders Classics, l’organisateur de la plupart des courses de printemps flamandes, qui se concentrent en Flandre-Orientale et Flandre-Occidentale, y a également vu un nouveau marché. Partir d’Anvers a donc permis de toucher un nouveau public. Les tentatives de Bruges pour récupérer le départ du «Ronde » ont échoué, jusqu’à ce que les bourgmestres Dirk De fauw (CD&V) et Bart De Wever (N-VA) se rencontrent lors des négociations de fusion entre les ports d’Anvers et de Zeebruges. Les deux hommes se sont mis d’accord sur une rotation, que Flanders Classics a acceptée. L’édition 2023, ce 2 avril, sera donc de retour à Bruges.

On vient de Nouvelle-Zélande, du Mozambique ou du Vietnam pour gravir les monts des Flandres.

Cette règle s’applique non seulement au Tour des Flandres élite mais aussi à celui pour les cyclotouristes, le samedi (les parcours de 75, 144 et 177 kilomètres démarrent et arrivent, eux, à Audenarde).

Jusqu’à 20 000 cyclos sur ce petit Ronde

La première édition de ce qui s’appelait alors le Ronde van Vlaanderen Cyclo a attiré six cents cyclotouristes en 1992. A son apogée, 20 000 coureurs amateurs s’affrontaient sur les monts des Ardennes flamandes. Aujourd’hui, la limite est fixée à 16 000 participants. «Elle a été convenue d’un commun accord avec les provinces et es communes, souligne Carl Vansteenkiste, directeur de Peloton, qui organise l’événement. Nous pensons que c’est une bonne chose: un plus grand nombre de coureurs entraîne une congestion des routes et ce n’est agréable pour personne.»

En 2022, We Ride Flanders s’est presque déroulé à guichets fermés ; les participants étrangers ont eu du mal à rallier la Belgique, à cause du Covid. Cette année, tous les billets ont été vendus. Le succès international – 65% des participants viennent de l’étranger – explique le nom anglais de l’événement. «Le cyclotouriste international ne parle pas du Ronde van Vlaanderen, mais des Flanders», précise Carl Vansteenkiste. L’édition 2023 verra des coureurs néo- zélandais, mozambicains et vietnamiens sur la ligne de départ.

La plupart sont arrivés en début de semaine et resteront jusqu’à Pâques pour assister à Paris-Roubaix. Les retombées financières pour la région ne sont pas quantifiables. En revanche, le coût pour les villes organisatrices est connu: Bruges débourse 1,5 million d’euros pour que les départs du Ronde en 2023, 2025 et 2027. Le contrat de la ville d’arrivée court de 2022 à 2028 et coûte 2,7 millions à Audenarde.

45 à 100 euros l’inscription

Les villes ne sont pas les seules à devoir mettre la main au portefeuille: les participants paient entre 45 et 100 euros, selon le moment auquel ils s’inscrivent et selon qu’ils choisissent le Tour raccourci de 75 kilomètres ou le parcours complet de 242 kilomètres. We Ride Flanders est beaucoup plus chère que les autres randonnées amateurs proposées par Peloton. Le billet le plus cher du Grand prix de l’Escaut cyclo coûte 23 euros, tandis que la Flèche brabançonne Cyclo coûte 25 euros. Pourquoi une telle différence? «C’est simple: la distance, justifie Carl Vansteenkiste. We Ride Flanders est presque cent kilomètres plus long. Il s’agit d’une organisation qui nécessite cinq cents bénévoles, trois cents employés et plusieurs postes de ravitaillement. Nos coûts sont nettement plus élevés. Si l’on compare avec Paris-Roubaix ou Liège-Bastogne-Liège pour cyclosportifs, nos prix sont conformes à ce qui est habituel pour un parcours aussi long.» Il se chuchote que We Ride Flanders engrange plus de bénéfices que le Tour des Flandres pro. Peloton n’a pas souhaité confirmer. Un certain montant est néanmoins dévolu chaque année à une œuvre caritative. En 2023, il s’agira de Diabetes Liga, la ligue flamande contre le diabète.

Le redoutable Koppenberg, ses pavés et son pourcentage de pente jusqu’à 25%.
Le redoutable Koppenberg, ses pavés et son pourcentage de pente jusqu’à 25%. © belga image

Ce droit d’inscription ne représente cependant qu’une faible dépense comparée à l’équipement avec lequel les cyclotouristes courent. Les vélos à 10 000 euros ne sont pas rares. Pas étonnant que plusieurs soient volés chaque année… Pas pendant We Ride Flanders, les parkings à vélos y sont surveillés. Par contre, les cyclotouristes qui s’arrêtent à une terrasse les jours précédents ont intérêt à être attentifs. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à entreposer leur vélo dans leur chambre d’hôtel ou d’hôte.

Un Ronde plus social que vraiment sportif

We Ride Flanders n’est pas les 10 miles d’Anvers. Lors des grandes courses de masse, une dichotomie s’opère: les participants les plus rapides courent chaque année de plus en plus vite, tandis que les derniers arrivent de plus en plus tard. Il y a plus de coureurs très en forme, qui veulent battre leur propre record, mais aussi plus de cyclos qui relèvent un défi et qui auraient peut-être besoin d’un peu plus d’entraînement. Ceux à la recherche d’une performance risquent toutefois d’être déçus. «Si vous voulez battre votre meilleur temps sur le Kwaremont, vous devrez revenir à un autre moment, prévient Carl Vansteenkiste. Pendant We Ride Flanders, il y aura trop de monde.» Même les coureurs bien entraînés peuvent se retrouver bloqués: dans le Koppenberg, le Paterberg ou le Kanarieberg, il y a forcément des embouteillages. «Cela reste un événement sportif, mais l’accent est mis sur l’aspect social et l’ambiance, ajoute le directeur de We Ride Flanders. Vous prenez un Britannique à la peine dans votre roue pendant une centaine de kilomètres et vous arrivez à Audenarde ensemble, heureux: c’est l’idée. Avec des groupes musicaux, des DJ et de la convivialité tout au long du parcours.»

Une attestation médicale n’est pas obligatoire pour prendre le départ, mais l’organisation recommande vivement un check-up, éventuellement combiné à un test à l’effort. A quelques exceptions près, les participants semblent savoir dans quoi ils s’engagent. «Vous pouvez rendre un parcours aussi difficile que vous le voulez, mais des montées comme le Paterberg ne peuvent pas être gravies sur une jambe: il faut pousser fort sur les pédales, sinon on n’arrive pas au sommet. Nous insistons sur l’importance de ne pas oublier de manger et de boire régulièrement: une erreur que commettent de nombreux cyclotouristes. L’enthousiasme permet d’aller loin, mais pas jusqu’à Audenarde.»

Le Koppenberg, la bête noire

Le Koppenberg n’est praticable que si l’on dispose d’assez de place, pas si l’on doit se frayer un chemin entre des cyclistes moins aguerris. Des pavés peu praticables et un pourcentage de pente allant jusqu’à 25% obligent les cyclistes à mettre pied à terre à la moindre hésitation. Dans l’édition la plus courte de We Ride Flanders, le Koppenberg se présente en début du parcours. Un bon point: des jambes à peine sollicitées ne peuvent qu’aider. L’organisation est consciente de la difficulté: le Koppenberg est la seule ascension à laquelle on peut se soustraire.

Les conditions météorologiques sont également cruciales sur le Koppenberg: des pavés mouillés et glissants changent tout. L’année dernière, la neige a joué les trouble-fête, mais les pavés ont séché plus tard dans la journée. «Nous ne craignons pas le froid, mais la pluie et les rafales de vent sont plus ennuyeuses, note Carl Vansteenkiste. Ceux qui optent pour la longue distance risquent d’avoir les batteries à plat par temps flandrien. Les chutes ne surviennent généralement pas parce que la situation est dangereuse, mais à cause de la fatigue.»

Cinq à dix pour cent de femmes

La course à pied est nettement plus mixte que le vélo. Lors d’un jogging, la répartition hommes-femmes au départ est d’environ 50-50. Pendant la pandémie, de nombreuses femmes ont acheté un vélo de course, mais la féminisation du peloton amateur ne suit pas. «La tendance est en hausse, mais elle est plus lente que prévu», reconnaît l’organisateur. Le nombre de participantes se situe entre 5% et 10%.

Les spécialistes du marketing sportif estiment que l’essor du sport amateur s’explique principalement par la participation des femmes. Cette avancée a permis d’attirer de nouveaux sponsors et de professionnaliser le secteur en un rien de temps. Mais dans les grandes courses cyclosportives, le peloton féminin se fait toujours attendre. «La féminisation arrivera tôt ou tard, espère Carl Vansteenkiste. Dans le passé, de telles ruptures de tendance étaient lentes à se concrétiser, mais aujourd’hui, ça peut se faire plus rapidement. Regardez les courses professionnelles féminines: en à peine cinq ans, elles ont acquis un énorme prestige. Les exploits de Lotte Kopecky (NDLR: victorieuse de Tour des Flandres 2022) attireront certainement les femmes vers le cyclisme.»

Les exploits de Lotte Kopecky attireront certainement les femmes vers le cyclisme.

Des riverains habitués au Ronde

La limitation du nombre de participants vise aussi à épargner les riverains. Ceux qui vivent dans le triangle Kluisbergen- Audenarde-Grammont n’ont pas intérêt à détester le cyclisme! De fin février à début avril, un peloton pro passe tous les trois jours. Le Vieux Quaremont, à Kluisbergen, accueille chaque année plus de soixante courses officielles, auxquelles s’ajoutent autant de courses amateurs. N’est-ce pas un peu trop? «Nous faisons de notre mieux pour sensibiliser les participants. Avec succès: le nombre de plaintes diminue d’année en année, se réjouit Carl Vansteenkiste. Il existe une ligne d’assistance téléphonique que les habitants peuvent appeler en cas de nuisances ou de questions. La plupart des appels concernent la mobilité. Il est impossible d’éviter quelques nuisances, mais la plupart des habitants s’en accommodent. Dans leurs communes, cette journée a l’atmosphère d’un festival rock. C’est un plaisir d’être là.»

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«Mon conseil? Ne prenez pas le départ»

Lorsqu’on lui demande ce qu’il conseillerait aux participant de We Ride Flanders, Eric Leman n’a pas besoin de réfléchir longtemps. «C’est simple: ne prenez pas le départ. 242 kilomètres sur ce parcours? C’est très dur et par mauvais temps, comme c’est souvent le cas, c’est encore pire», plaisante le vainqueur du Tour des Flandres 1970, 1972 et 1973. Ceux qui en ressentent malgré tout l’envie irrépressible devraient commencer à s’entraîner sérieusement au moins trois mois à l’avance, selon Leman. «Augmentez systématiquement le nombre de kilomètres jusqu’à ce que vous soyez habitué à parcourir trois cents kilomètres. Cela équivaut à un Ronde

Stijn Devolder, vainqueur en 2008 et 2009, conseille de commencer calmement: «Ce sera long et dur. L’astuce consiste à bien doser, c’est-à-dire à garder son énergie en mangeant et en buvant à temps. Sur les pentes raides comme le Koppenberg, il est important de rester assis sur sa selle et de faire reposer son poids sur la roue arrière. Ne roulez pas en danseuse, gardez vos forces jusqu’aux passages les plus raides et donnez alors tout ce que vous avez. Restez détendu et ne paniquez jamais, conseille-t-il. Même avec des superjambes, il sera difficile d’atteindre le sommet. Veillez donc à avoir des chaussures avec de bonnes semelles, vous pourrez alors marcher.» (rires)

Stijn Devolder ne comprend que trop bien ces amateurs qui viennent du bout du monde pour parcourir les Ardennes flamandes. «Ces ascensions ont un attrait magique. Elles me fascinaient quand j’étais enfant.» Eric Leman est plus terre à terre: «Ces cyclotouristes vont souffrir au point de ne plus savoir de quel pays ils viennent. Les pavés, ce n’est pas drôle. C’est de la souffrance.»

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